Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paraissent des motifs suffisans pour récuser sans choix la parole et la pensée, et notre temps, en défiance de lui-même, semble prêt à croire que le siècle s’est trompé. » Contre ce matérialisme social, M. de Rémusat invoquait le secours d’une philosophie mâle et sage qui montrerait la bonne route aux esprits engagés dans d’autres voies. « Elle a, disait-il, d’autant plus à faire qu’elle semble moins écoutée, et, loin de se laisser enchaîner dans les entraves du doute ou dégrader dans l’abaissement du sensualisme, elle doit donner à la société même un nécessaire exemple en conservant intactes, au moins pour l’esprit humain, la liberté et la grandeur. »

On retrouve dans ces belles paroles les nobles préoccupations de M. de Rémusat, celles qui l’assiégeaient à son entrée dans la vie et qui l’ont suivi jusqu’à la mort. Quelques années plus tard, chargé par l’Académie des Sciences morales et politiques d’un rapport sur le concours ouvert pour l’examen critique de la philosophie allemande, il examinait avec la même indépendance d’esprit les systèmes de Kant d’abord, puis de ses continuateurs Fichte, Schelling, Hegel ; il en signalait les lacunes, il en montrait les inconséquences, et, sans nier ce qu’il y avait dans toutes ces théories « d’idées profondes, de pensées fines et de partielles vérités, » il concluait en reprochant à cette philosophie d’avoir été infidèle à la sage et sûre méthode inaugurée par Descartes, pour aboutir à des hypothèses impossibles.

Mais chez M. de Rémusat la science n’avait point éteint l’imagination, et l’artiste était encore vivant à côté du philosophe. Dans les derniers temps de la restauration, quand la société tout entière était occupée de la rénovation du théâtre, il avait composé trois drames non représentés, mais qui, lus dans quelques salons, nous avaient charmés. Le premier de ces drames, le Fief, écrit en douze jours à la campagne, en 1824, était le tableau vivant des mœurs féodales et des guerres civiles suscitées par le conflit des suzerainetés. Si le fief de Montciel, situé sur la limite de la France et de la Bretagne, a pour suzerain le roi de France, l’héritier légitime est le neveu du dernier seigneur revenu de la croisade; si au contraire le fief relève du duc de Bretagne, l’héritage appartient à la fille. Heureusement les jeunes gens s’aiment, et le drame finit par un mariage après une suite d’aventures où figurent, à côté du roi de France et du duc de Bretagne, un grand nombre de personnages secondaires, dont chacun représente une des classes dont se composait la société féodale. Il y a entre autres un chapelain que la dame châtelaine appelle pour recevoir sa confession, à la condition qu’il ne se permettra pas de contrôler sa conduite, et qui accepte docilement cette étrange condition. Il est difficile de ne pas voir