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on était déjà, au commencement de l’année 1870, plein d’espoir; on croyait que l’affaire marchait toute seule[1]. Le général français, homme d’esprit pourtant, s’était laissé bien vite prendre aux chasses à l’ours, aux voyages en traîneau et à maintes autres marques d’une auguste bienveillance, qu’il eut la modestie de rapporter à la politique de son maître, au lieu de les attribuer avec bien plus de raison à des agrémens personnels très réels et très séduisans en effet. La conviction du grand-écuyer fut partagée par son entourage, par ses aides-de-camp notamment qui ne tardèrent pas à célébrer dans des lettres confidentielles adressées à Paris «les grands résultats obtenus» par leur chef, et à parler de « sa faveur croissante auprès de l’empereur de toutes les Russies, » dans des termes très forts et beaucoup plus militaires que diplomatiques[2]. Sans se laisser imposer par tous ces récits pleins d’allégresse, M. Benedetti n’en persistait pas moins dans sa conviction bien arrêtée; encore le 30 juin 1870, à la veille même de la guerre, il l’exprimait dans une dépêche lumineuse et dont nous aurons à citer plus d’un passage instructif. Parlant de la récente entrevue (1-4 juin) de l’empereur Alexandre et du roi de Prusse à Ems, l’ambassadeur suppose que M. de Bismarck s’y est montré, comme d’habitude, d’un côté favorable à la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg en Orient, et que de l’autre il s’est appliqué à éveiller les susceptibilités du tsar dans les questions qui agitent le sentiment national en Russie par rapport à l’Autriche, la Galicie, etc. « Pendant que le ministre aura pris à tâche de rassurer l’empereur sur le premier de ces deux points et de l’alarmer sur l’autre, le roi aura déployé cette bonne grâce dont il a toujours su faire un si merveilleux usage pour captiver les sympathies de son auguste neveu, et je ne doute pas, pour ma part, qu’ils n’aient laissé des impressions conformes à leur désir. Quels que puissent être d’ailleurs les moyens qu’ils ont employés, leur but a dû être de raffermir l’empereur dans les sentimens qu’ils ont su lui inspirer, et ils l’auront plus ou moins atteint. »

M. Benedetti fut loin cependant d’admettre un arrangement officiel et en bonnes formes entre les deux cours, loin surtout de croire que le ministre de Prusse eût en toute sincérité et candeur fait cession

  1. Lettre confidentielle de M. de Verdière, Saint-Pétersbourg, 3 février 1870. Papiers et correspondance de la famille impériale, t. Ier, p. 129.
  2. « L’empereur de Russie a pris le général tout à fait en goût; il l’emmène sans cesse dans ses chasses à l’ours et le fait voyager avec lui sur une f... dans son traîneau à une place. C’est le suprême de la faveur, et je pense que la politique s’en trouvera bien. » Lettre confidentielle de M. de Verdière, 25 janvier 1870. Papiers et correspondance, t. Ier , p. 127.