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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/429

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à travers le moyen âge et les temps modernes; elles modifient sans cesse l’ethnographie de la Marche, mais non le caractère de l’état, personnifié dans le margrave, qui a composé, pièce par pièce, la population artificielle du Brandebourg, et rallié autour de lui, comme autour d’un point fixe, ces élémens divers.

Les margraves ascaniens se gardèrent bien d’établir une grande noblesse en Brandebourg; mais ils distribuèrent quantité de petits fiefs aux vassaux qui les avaient suivis, ou que le désir de conquérir un établissement attira dans la Marche. En même temps, ils répartirent dans les villages les colons venus de Saxe ou de Hollande. Pour créer un village, le margrave vendait un certain nombre d’arpens à un entrepreneur qui se chargeait de les revendre en détail aux futurs habitans. L’opération terminée, l’entrepreneur devenait le bailli héréditaire du lieu. Là où le commerce et l’industrie se développaient, le prince créait un marché; s’il y avait lieu, il transformait le village en ville après une enquête suivie d’une déclaration d’utilité publique. « Attendu, lit-on en tête d’une charte margraviale, qu’il a paru utile à nous et à nos conseillers de fonder une ville près de Volzen, nous y avons employé tous nos soins. » L’entrepreneur intervenait encore : il achetait au margrave un territoire qui s’ajoutait à celui du village, le revendait aux futurs bourgeois, faisait creuser les fossés, construire les murailles et les édifices publics; après quoi, il devenait le magistrat héréditaire de la cité nouvelle.

A l’origine, il n’y eut pas de distinction entre les habitans d’un même village ou d’une même ville; tous avaient des obligations déterminées envers le margrave, mais jouissaient de la liberté personnelle. La condition du paysan brandebourgeois était, au XIIe siècle, préférable à celle du paysan saxon, qui était attaché à la glèbe; aussi l’émigrant allait-il chercher au-delà de l’Elbe ce qu’il va chercher aujourd’hui au-delà de l’Atlantique, c’est-à-dire une propriété libre. Un curieux document, une glose du grand recueil juridique du temps, le Sachsempiegel ou Miroir de Saxe, dit la raison vraie de cette situation privilégiée des Brandebourgeois : « ils sont libres parce qu’ils ont les premiers défriché le sol.» De même les villes, gouvernées par leurs baillis, assistés de conseils élus, avaient une certaine indépendance. Comme le terrain sur lequel elles étaient bâties était exposé à mille attaques, il fallait que les entrepreneurs et les premiers bourgeois fussent encouragés par de grandes franchises. Dans la charte de fondation de Soldin, le margrave dit que la création nouvelle « a besoin de beaucoup de liberté; » c’était reconnaître une loi qui a eu de nombreuses applications dans l’Europe septentrionale. Aux bords du Zuiderzée comme aux bords de la Baltique, en Hollande et en Livonie comme en