Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/444

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
438
REVUE DES DEUX MONDES.

pour maîtresse en consacrant une partie de sa fortune à une bonne œuvre profitable aux arts. Elle pensait sans doute que ce généreux procédé enlèverait à ses dollars leur vile odeur commerçante. Elle consulta des experts, et fut bientôt prête à jurer, en s’appuyant sur des prémisses irréfutables, qu’une colossale statue de Minerve, en bronze doré, dont parle Strabon, attendait patiemment l’heure de la résurrection à une centaine de mètres de l’angle nord-ouest de la villa. J’eus l’honneur de dîner chez elle en compagnie de deux vieux antiquaires grotesques qui, le repas achevé, durent se livrer à des marches forcées à travers le parc. Ces messieurs, bien qu’ils ne fussent d’accord sur aucune autre question, déclarèrent à tour de rôle à la comtesse, en la prenant à part, que des fouilles savamment dirigées donneraient une récolte de splendides découvertes. Valério avait non-seulement témoigné de l’indifférence, mais s’était opposé à ce projet. Plus d’une fois il avait même interrompu les prévisions enthousiastes de sa femme avec une aigreur inusitée. — Qu’ils dorment en paix, les pauvres dieux déshérités, dit-il. Ne trouble pas leur repos. Que leur veux-tu? Nous ne pouvons pas les adorer. L’Apollon, la Cérès, la Minerve, que tu es si sûre de découvrir, songes-tu à les placer sur des piédestaux pour qu’on les critique et qu’on les raille? Puisque tu ne peux croire en eux, ne les dérange pas.

Je me rappelle avoir été assez frappé de la véhémence d’un aveu que sa femme lui arracha lorsqu’un jour, à la suite de quelque remontrance de ce genre, elle l’accusa en riant d’être superstitieux. — Oui, je suis superstitieux! s’écria-t-il. Peut-être ne le suis-je que trop; mais les Valerius sont des Italiens de la vieille roche, et il faut me prendre tel quel. Ah! on voit et l’on entend ici des choses qui laissent derrière elles d’étranges influences! Ces choses ne te touchent pas, naturellement, puisque tu es d’une autre race; moi, elles me frappent dans le bruit des feuilles, dans l’odeur du sol moisi, dans le regard vide de ces vieux marbres. J’ose à peine contempler une statue en face. Il me semble voir d’autres yeux rouler dans ces orbites de pierre, et je ne sais trop ce qu’ils veulent me dire. J’appelle ces pauvres statues des revenans. En conscience, nous en avons déjà assez dans le parc qui se tiennent là aux écoutes, plongeant les yeux dans chaque coin obscur. N’en déterrons plus !

Cette sortie de Valério était trop bizarre pour que sa femme y vît autre chose qu’une plaisanterie, et bien que je prisse les paroles du comte plus au sérieux, il plaisantait si rarement, que j’aurais regretté d’interrompre le sourire de ma petite Marthe. Grâce à son sourire, elle triompha, et au bout de quelques jours on vit arriver une sorte de détective doué, disait-on, du flair archéologique, et escorté