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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/51

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connaissait aussi ces deux langues et surtout le latin, qu’il écrivait couramment, comme tous les hommes instruits de son époque. C’est en latin que se rédigeaient alors tous les livres scientifiques ; il me l’enseignait en passant, et se plaisait à le parler avec moi ; pour me faciliter la conversation, il me faisait apprendre par cœur les Colloques d’Érasme ; toutes les études marchaient ensemble.

Les choses allaient ainsi depuis deux ans, le grand-père était content de mes progrès, lorsqu’un jour il me dit : — Tout va bien, Siegfried, nos études avancent, mais il ne faut rien négliger des choses de la vie ; c’est un usage dans le monde d’avoir une religion, de se déclarer protestant, catholique, et même juif, si l’on veut. Tout cela revient à peu près au même ; seulement il est bon de choisir la religion qui vous est le plus avantageuse. Chez nous, en Prusse, c’est la religion réformée, celle du roi, de la noblesse ; en France, en Autriche, c’est la religion catholique ; suivons donc la coutume, car les imbéciles disent qu’on ne peut être honnête homme sans religion. Je vais faire venir le pasteur de Vindland : il t’enseignera la religion du pays ; il te fera remplir les cérémonies accoutumées en pareil cas ; je le paierai raisonnablement, et tu seras luthérien réformé. À l’école des cadets, tu suivras les exercices religieux, car le roi y tient beaucoup, pour le bon exemple ; pourvu qu’on aille au temple de temps en temps, qu’on chante un cantique, cela suffit.

Après m’avoir tenu ce petit discours, qui servit à me faire comprendre toute l’importance de l’instruction religieuse, le grand-père envoya Jacob Reiss chercher M. le pasteur Brandhorst en char-à-bancs. M. Brandhorst était un homme de quarante ans, grand, maigre, les cheveux blond-filasse et les paupières rouges. Il passait à Vindland pour être très sévère sur les pratiques religieuses ; c’est ce que j’ai su depuis. Il arriva donc vêtu de noir, un petit manteau sur les épaules, un grand chapeau de soie sur sa grosse tête, l’air satisfait, heureux d’avoir été choisi par M. le baron Otto von Maindorf pour l’instruction religieuse de son petit-fils, ce qui ne pouvait qu’ajouter au relief de M. le pasteur parmi ses confrères et ses ouailles.

Au moment où rentrait le char-à-bancs, le grand-père et moi, nous étions dans la cour, je venais de prendre une leçon d’équitation, et c’est là que nous reçûmes M. le pasteur avec force salutations de sa part et cajoleries à mon sujet. Il parlait fort bien ; le grand-père lui répondait avec un sourire de bienveillance. C’est ainsi que nous montâmes le grand escalier et que nous entrâmes dans la bibliothèque, où M. Brandhorst, s’étant débarrassé de son petit manteau, s’assit auprès de moi, devant la cheminée, et commença