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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/660

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preuve nouvelle, — et des plus remarquables, — de ce sentiment profond des nuances qui nous avait déjà arrêté par deux fois à Notre-Dame-du-Marthuret. Ces personnages se divisent en prophètes et en apôtres, et rien n’est plus frappant que le contraste intelligent que le peintre a su établir entre eux. Les prophètes sont pleins de caractère et d’énergie, mais avec une empreinte fortement marquée d’étrangeté. Bizarrement costumés, les traits ravagés par les fatigues de l’inspiration, les yeux saillans et pleins de songes, ce sont de vieux Juifs tout à fait bizarres, et des Juifs véritables, car l’artiste semble s’être inspiré directement des types que pouvaient lui présenter en foule les innombrables ghettos des villes du XVe siècle. J’en vois un surtout, coiffé d’un chapeau baroque et la taille serrée dans un justaucorps vert, qui se retourne, le visage courroucé, comme pour gourmander un incrédule ou un libertin dont vous avez rencontré certainement le double dans quelque quartier juif de telle ou telle ville européenne. À moitié sorciers, à moitié pontifes, leur aspect parle de quelque chose d’occulte et de secret qui agit par eux et dont ils ne sont pas entièrement les maîtres. Ce sont visiblement gens à chercher à tâtons dans les ténèbres l’issue qui conduit au jour, à lutter dans le silence des solitudes avec les énigmes, à passer rêveusement les heures du jour à interpréter les songes des nuits, à répondre en paroles obscures ou d’un sens incertain. Chez les apôtres au contraire, rien de bizarre, rien d’égaré, rien d’occulte ; des visages aux traits calmes et sévères comme la raison, fermes et réguliers comme la certitude, lumineux comme la clarté et l’évidence. Entre ces prophètes et ces apôtres, il y a toutes nuances gardées, la même différence qui vous saisirait, si après avoir contemplé une série de portraits de vieux savans de la renaissance, monstres d’érudition et prodiges d’imagination conjecturale, vous contempliez une série de portraits d’hommes célèbres du XVIIIe siècle.

À l’extrémité de l’un des faubourgs de Riom se trouve le village de Mozat, dont l’église paroissiale fut celle d’une des plus anciennes abbayes de France. Cette abbaye fut fondée dans la seconde moitié du VIIe siècle par un personnage d’origine romaine nommé Calminius et par sa femme Namadia. C’était à peu près dans le même temps où saint Philibert fondait les abbayes de Jumiéges et de Noirmoutiers ; on peut comprendre par ce double exemple d’un noble romain et d’un noble franc concourant avec une ardeur égale à la même œuvre d’édification à quel point le christianisme possédait dans ces temps troubles les âmes capables de civilisation morale. Il était tout pour ces âmes, le refuge contre la barbarie de l’époque, la foi qui alimentait et dirigeait la vie intérieure, le principe et le levier d’action qui dirigeait la vie extérieure et pratique. Calminius ou saint Calmin, comme il est communément appelé,