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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/67

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point où je confesse n’entendre rien du tout. J’y ai souvent voulu bailler des atteintes, mais je n’y ai jamais pu mordre. Je ne sais comment il s’y faut prendre : s’il faut aller de dextre à senestre, ou de senestre à dextre… Ceux qui ont voulu interpréter ces Tables eugubines ne me peuvent pas satisfaire. Mettons donc ceci entre les choses que nous ignorons parfaitement. »

Au XVIIIe siècle, l’interprétation devait être reprise avec un redoublement d’ardeur. Nous rencontrons ici un livre qui exerça une influence considérable sur les esprits ; ce n’est pas qu’il fût d’une grande nouveauté : l’auteur, quand son œuvre parut, était mort depuis plus de cent ans. Le savant Écossais Thomas Dempster appartient au XVIe siècle par la date de sa naissance, par son érudition immense et confuse, par son caractère batailleur, par son humeur inquiète et voyageuse. Après avoir professé dans les Pays-Bas, en France, en Angleterre, en Espagne, il fut appelé en Italie par Cosme II de Médicis, et, sur l’invitation de ce prince, il écrivit en 1619 son grand ouvrage de Etruria regali. Ce livre resta manuscrit jusqu’en l’année 1723, où il fut publié avec luxe à Florence par les soins de Thomas Coke, comte de Leicester. L’ouvrage était bien tel qu’on pouvait l’attendre d’un homme réputé en son temps pour l’étendue de son savoir, comme pour son manque de jugement. Les Étrusques y sont présentés comme le peuple inventeur de tous les arts, de toutes les sciences, de tous les objets utiles à la vie. Depuis l’écriture jusqu’à l’art de fabriquer les casques, depuis la philosophie jusqu’à l’usage de se frotter le corps avec des parfums, tout venait de l’Étrurie. On trouvait chez Dempster la liste de ses anciens rois, qui commençait à Janus pour finir à Mécène, Les Étrusques étaient autrefois les maîtres de l’Italie, et Rome, qui leur arracha la primauté, se para de leur civilisation. Les anciens titres de noblesse des diverses cités de l’Italie étaient énumérés. Ce qui donna à cette publication une valeur durable, c’est qu’un savant aussi modeste que judicieux, Philippe Bonaruoti, qui avait été chargé de surveiller l’édition, profita de l’occasion pour y joindre des planches exécutées avec le plus grand soin. Une quantité d’inscriptions et d’antiquités virent le jour pour la première fois. Au nombre des planches figurent les Tables eugubines, publiées intégralement et avec une correction remarquable pour l’époque. Bonaruoti se doutait déjà qu’elles étaient non pas en langue étrusque, mais plutôt en ombrien : il avait remarqué qu’on n’y trouvait aucun de ces noms en al, si fréquens sur les inscriptions de l’Étrurie. « Du reste, ajoute-t-il, qu’elles soient en étrusque ou en ombrien, peu importe, puisqu’on n’entend pas plus l’un que l’autre. » Quant au contenu des tables, il exprime, mais avec une grande réserve, l’idée que ce sont des traités entre peuples voisins.