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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/692

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d’hommes à qui l’empereur a depuis longtemps accordé sa confiance, son estime, voire ses sympathies particulières. » Et c’est ainsi que la guerre entre la rue de Lille et la Wilhelmsstrasse a pu durer deux ans ; on travaillait par la sape de part et d’autre, on éventait les mines de l’ennemi par des contre-mines. Croirons-nous, ainsi que l’affirme l’auteur de la brochure, que M. de Bismarck recourait à tous les moyens pour mettre l’ambassadeur dans une situation impossible, et pour annihiler son influence ? Croirons-nous qu’il employait des agens secrets pour prévenir le gouvernement français contre celui qui représentait l’Allemagne à Paris ? Croirons-nous qu’un de ces agens fut chargé de répéter à M. le duc Decazes ce mot du vindicatif chancelier : « Il faut que le duc Decazes soit bien jeune pour se livrer à des épanchemens vis-à-vis d’Arnim ! » Cette histoire est riche en enseignemens. Elle prouve que, quoi qu’on en dise, il y a encore des juges à Berlin, puisque le comte Arnim, accusé de haute trahison, n’a été condamné que pour un délit de droit commun. Elle prouve que le régime parlementaire a du bon, puisqu’il permet à un premier ministre de révoquer un fonctionnaire sans se croire obligé de le perdre. Elle prouve encore que l’homme le plus puissant ne peut pas tout ce qu’il veut, et que les souveraines grandeurs ont leurs croix cachées. Elle prouve enfin que le pays de la discipline a ses indisciplinés, qui étonnent le monde par la ténacité de leurs résistances, et que le pays de la discrétion produit des brochures d’une prodigieuse indiscrétion.

L’opinion bien arrêtée du conservateur de Potsdam est qu’en frappant le comte Arnim M. de Bismarck n’a point eu en vue l’intérêt de l’état ni le rétablissement de la discipline dans la conduite de la politique étrangère de l’empire, mais qu’il a consulté seulement ses inquiétudes, ses animosités, qu’il a voulu se de faire d’un homme qui lui était désagréable et qu’il jugeait dangereux. « Il est naturel de haïr son héritier, surtout quand on le soupçonne d’être impatient, » lisons-nous dans la brochure. Le comte Arnim était-il un homme aussi dangereux que le pensait le chancelier ? Le conservateur anonyme ne nous fournit à ce sujet que des informations insuffisantes, obscures, souvent contradictoires. On dirait qu’il craint de diminuer le rival de M. de Bismarck en le justifiant trop, et qu’en racontant le passé il s’occupe de réserver les éventualités possibles de l’avenir. Toutefois, si nous en jugeons par certains passages de son plaidoyer, nous pourrions croire qu’il a été fait beaucoup de bruit pour rien, que M. de Bismarck n’a couru aucun danger sérieux, que son imagination est une lunette aux verres grossissans, et qu’il voit des affaires d’état dans ses moindres contrariétés personnelles. L’auteur du Pro nihilo rapporte qu’au début de l’affaire Duchesne le comte Arnim, persuadé que le cas n’était pas digne d’attirer longtemps l’attention du chancelier de l’empire, s’abstint cependant de rien