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à Suez, de même qu’ils défendraient l’intégrité des capitulations à Alexandrie, tout comme ils disputeraient victorieusement à la Russie son influence dans l’Europe orientale. Ils ont les moyens de tout faire à la fois sans se préoccuper d’aucune difficulté. On nous permettra de douter un peu de l’infaillibilité de cette sagesse, de l’efficacité de cette pétulance agitatrice qui ne tient compte de rien, qui frapperait des coups en l’air au risque de réveiller les ombrages, les jalousies, les inimitiés contre notre pays et d’offrir des prétextes dont on ne manquerait pas de servir contre nous. Le gouvernement français a en vérité mieux à faire qu’à se laisser aller à ces conseils imprévoyans. Sans s’isoler, sans se désintéresser, il doit garder une circonspection qui, à un moment donné, sera sa force. Il est tenu démontrer que, si la France n’est point impatiente, elle reste une alliée assez sérieuse dans des circonstances qu’il n’est point impossible de prévoir. La France n’a qu’à ne point se hâter, à ne point refuser sa signature là où elle peut la donner sans péril, à ne point s’engager dans des aventures compromettantes et à laisser les événemens éclairer les peuples, les gouvernemens libéraux sur leurs véritables intérêts, sur les combinaisons qui pourraient menacer leur indépendance, sur les alliances qui sont les plus naturelles pour eux.

On y viendra, on y est déjà venu en partie, et certainement, quelques efforts que fassent les partis extrêmes en Italie pour entretenir les susceptibilités contre la France, il y a au-delà des Alpes un instinct qui ne se trompe pas. Les Italiens sont de fins politiques, ils tiennent à sauvegarder, au milieu des oscillations européennes, la sécurité de l’œuvre nationale qu’ils ont accomplie, et il ne faut pas leur demander de se montrer insensibles à tout ce qui rassure ou flatte leur sentiment d’indépendance. Ils ont été heureux, il y a quelque temps, de recevoir l’empereur d’Autriche à Venise ; ils ont reçu dernièrement de leur mieux l’empereur d’Allemagne à Milan, et dès les premières séances du parlement qui vient de se réunir, ils ont tenu à constater l’importance de cette visite ; le gouvernement s’est empressé d’élever au rang d’ambassade la légation d’Italie à Berlin de même que l’Allemagne a fait un ambassadeur de son ministre à Rome. Rien de plus simple, d’autant mieux que M. Visconti-Venosta n’a point caché que ce ne serait point sans doute une mesure isolée, que selon les circonstances, selon les accords qui interviendraient, on agirait d’une manière semblable avec d’autres puissances. Des rapports amicaux, oui assurément, il y en a ; mais après tout la politique n’en est point changée, et au lendemain de la visite de l’empereur Guillaume à Milan M. Minghetti a parlé dans une réunion publique de façon à bien laisser comprendre que l’Allemagne était libre de suivre la politique religieuse qu’elle voudrait, que l’Italie, elle aussi, restait maîtresse de la direction de ses affaires. En d’autres termes, c’est dire que les politiques diffèrent parce que les