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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/815

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n’est pas d’Astarté qu’il convient de rapprocher Bast ; à en juger par le caractère sensuel et bienfaisant de la déesse égyptienne, la grande divinité d’Aradus était plutôt une sœur de la Baalath de Byblos.

Le Maabed d’Amrit, le plus ancien et presque le seul temple qui subsiste de la race sémitique, s’élevait au-dessus d’un lac sacré ainsi que les deux naos de la « Fontaine des serpents. » L’idée du sanctuaire s’élevant au milieu des eaux est propre au groupe des religions de la Chaldée, de l’Assyrie, de la Phénicie et du Yémen. Au temple fameux d’Hiérapolis de Syrie, l’auteur de la Déesse syrienne vit la cella du dieu qui semblait flotter sur le lac. Près du grand sanctuaire de Baalath, à Aphaca, était aussi un étang sacré : les sources qui sortent des assises du temple sont encore tous les jours entourées d’offrandes. Cette coutume nous paraît tenir au dogme sémitique de l’origine des choses dans le principe humide[1]. Suivant les vieilles cosmogonies de Babylone et de la Phénicie, l’univers est sorti des flots du sombre abîme primordial ; au sein de ces eaux s’engendrèrent spontanément les premiers êtres, les dieux ichthyomorphes, les animaux monstrueux, puis Bel, le dieu cosmique, le soleil organisateur du monde, fils et époux de sa mère, la Bilit Tihamti ou « Bilit Mer » de Babylone, le chaos. La déesse de Byblos, la Baalath du Liban, est aussi la mer qui reçoit en son sein les eaux du fleuve Adonis : ce n’est pas le seul trait qui trahit son affinité avec la mère des dieux.

En général, la mythologie cananéenne ne saurait non plus être étudiée à part que les mythologies grecque ou germanique. Les mythes phéniciens appartiennent à l’ensemble des religions euphratico-syriennes comme les mythes de l’Hellade au groupe des religions aryennes. Dans la nature comme dans l’histoire, la méthode comparative a renouvelé toutes les notions anciennes et substitué à la catégorie de l’être celle du devenir. Une religion n’est pas plus isolée qu’une plante ou un animal ; on ne la comprend bien qu’en remontant la série des formes antérieures. Voilà pourquoi presque toutes les divinités du panthéon phénicien peuvent être rapprochées, ainsi que de leurs types, des dieux de la Chaldée et de la Babylonie. Autant vaudrait étudier la religion romaine dans Varron que la religion phénicienne dans Philon de Byblos. Les livres même relativement anciens des Hébreux, qui, comme celui de Jérémie, nous parlent des divinités de Canaan, sont déjà d’une époque de fusion. Depuis bien des siècles, Araméens, Cananéens, Hébreux et Assyriens n’avaient plus conscience des origines et de la nature véritable de leurs religions.

Ces origines, nous n’avons pas à les rechercher ici, et une telle

  1. Fr. Lenormant, Essai de commentaire des fragmens cosmog. de Bérose, p. 222.