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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/114

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rassurent son courage, il se reprend à la gaîté, et termine par un joyeux appel au sommelier :


Curam metumque Cæsaris rerum juvat
        Dulci Lyæo solvere.


Ce chant, que les commentateurs s’obstinent à citer comme un hymne de gloire sur la journée d’Actium, contient, on l’a vu, bien des réserves. Ce n’est là qu’un de ces chaleureux épanchemens que durent provoquer chez les poètes, ainsi que chez tous les partisans d’Octave, les récits parvenus à Rome des premiers succès de terre et de mer. L’inquiétude, l’effroi, percent encore assez pour que le poète s’efforce de noyer dans le vin les fâcheuses pensées. Quand Horace écrivit ces vers, Antoine et ses légions étaient debout ; de là ces retours patriotiques sur l’abaissement du triumvir, émancipatus féminœ, de ce guerrier romain qui ne rougit pas de se placer sous les ordres d’eunuques orientaux, d’un Pothin et d’un Mardion, spadonibus servire rugosis potest. Il ne s’agit encore jusqu’ici que d’émouvoir dans Rome l’opinion publique en faveur d’Octave, de l’exciter contre Antoine et d’aviver les ressentimens de tout un peuple contre le général romain qui s’en va conduire une armée romaine sous le joug d’une sorcière égyptienne et de ses eunuques.

Autre chose est de l’ode XXXVII du livre I. Désormais plus d’hésitation ; la bataille est gagnée. Le fils du grand Tullius dépêché par Octave, le consul Marcus Cicéron en a publié la nouvelle devant le peuple assemblé et du haut de ces rostres où jadis Antoine, que la Némésis vengeresse vient d’atteindre, fit clouer la tête et la main du prince des orateurs. Ce victorieux Octave était vraiment un bien habile homme de choisir ainsi dans son messager un personnage dont le nom seul allait réveiller partout dans le peuple le souvenir d’attentats commis par le vaincu et contre le vieux forum romain et contre la littérature nationale. On sait comment plus tard le tout-puissant monarque se défendit dans ses mémoires d’avoir pris la moindre part à cet assassinat politique. Horace, en poète prudent, attendit, pour mettre au jour son chant de victoire, que la guerre fût complètement terminée. L’année suivante seulement et lorsque la mort d’Antoine et de Cléopâtre eut apposé le sceau définitif à la cause d’Octave, l’Alcée des bords du Tibre jeta son cri de délivrance au plein d’une atmosphère rassérénée et dégagée de tout ferment de guerre civile.


Fatale monstrum, quæ generosius
Perire quærens, noc muliebriter
Expavit ensem, nec latentes
Classe cita reparavit oras.