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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/472

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présence dans une pareille représentation deux talens de premier ordre, c’était les mettre en rivalité et provoquer la lutte entre deux électricités qui n’ont certes pas besoin de se combattre, et n’en affirmeront que mieux leur puissance en agissant chacune à part. De plus ce contretemps permettait au directeur de simplifier son affiche et de la déblayer de ces deux mortels actes d’Hamlet, dont un concours d’inévitables circonstances l’obligeait à nous importuner. La force des choses nous avait dit : Ou vous subirez Hamlet, ou vous n’aurez pas de Christine Nilsson ! Le public se résigne ; mais voici qu’à la dernière heure ce gosier charmant s’endommage, et, par un coup du sort inouï, c’est un fragment des Huguenots qui remplace un fragment d’Hamlet. Vous vous étiez arrangé tant bien que mal pour souper avec un fâcheux, on vous rend Lambert et Molière ; c’est le festin de Boileau renversé ! Nous l’avions bien dit que Meyerbeer serait de la fête ; avouons cependant que nous ne pensions pas toucher si juste lorsque nous écrivions il y a un mois à cette même place : « Ce soir-là, bon gré mal gré, absens ou présens, les Huguenots s’imposeront à la pensée de tous. » La bénédiction des poignards est donc venue à souhait pour ramener à l’intérêt musical l’attention d’un public trop distrait par les merveilles de la salle, et M. Gailhard enlevant de sa belle voix le superbe solo de Saint-Bris a produit un effet de résonnance qui lui a valu une sorte de triomphe. Encore une des surprises de cette soirée : M. Faure, qui devait en être le héros, n’a point paru, et les applaudissemens ont été pour ce jeune et sympathique artiste froissé la veille dans ses plus légitimes susceptibilités, car, si le spectacle d’abord annoncé eût tenu, si nous eussions eu l’acte de Faust, M. Gailhard, dépossédé d’un rôle qu’il chante depuis des années, aurait dû céder la place à M. Faure, et cela, paraît-il, d’ordre supérieur, attendu qu’un bon ministre de l’instruction publique et des cultes, lorsqu’il se mêle de diriger aussi le département des beaux-arts, sait ne négliger aucun détail et faire intervenir son autorité, — fût-ce au risque de la compromettre, — en toute sorte de querelles de coulisses et de mesquins débats dont un simple régisseur avec quatre mots bien sentis avait jadis raison.

Ainsi amendée par la force des choses, la composition du spectacle offrait un champ plus libre aux débuts de Mlle Krauss. La chance aurait pu cependant être encore meilleure, si au lieu des deux actes de la Juive on eût donné tout l’opéra. N’importe, ce n’était que partie remise, et, pour le coup qu’il s’agissait de frapper, deux actes aussi corsés de musique et de situations que ceux de la Juive suffisaient. Le succès n’a pas été long à se décider : aux premiers murmures d’approbation, les applaudissemens ont bientôt succédé, et quand est venu l’allegro du finale, à cette belle phrase de Rachel, rendue, accentuée d’une voix franche, généreuse, où l’âme même du personnage semblait vibrer et palpiter, l’assemblée entière, violemment secouée, a tressailli, a battu