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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/474

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l’outrage des années. À côté de beautés incontestables, — l’allegro final du premier acte, la scène de la pâque, le prélude de violoncelles pendant l’entrée du cardinal au quatrième acte, l’adagio de l’air d’Éléazar, — vous retrouvez trop le faire du moment adapté par une main habile, et point assez le souffle créateur. On pourrait presque répéter à propos de la Juive ce qui se dit souvent du bonheur des grands heureux de ce monde : c’est une œuvre d’architecture qu’il faut contempler d’un certain point de vue et dont il ne faut pas trop s’approcher, si l’on ne veut toucher de près les matériaux vulgaires et voir les traces laissées là par la pluie et les orages qui les ont battus.

Il est de mode aujourd’hui, lorsqu’on remonte quelque ouvrage d’un passé presque contemporain, de reprendre à partie les divers jugemens portés à son sujet par la critique de l’époque. comme curiosité, ce genre d’études a de l’intérêt et nous fait voir très souvent que ces jugemens-là se sont trompés. Il convient cependant d’examiner les choses et de bien instruire le procès, nous sommes la postérité ; raison de plus pour être justes même envers l’erreur. Je prends pour exemple la Juive, et je parcours divers écrits du temps où cette musique, d’un mérite désormais reconnu, est en effet assez malmenée. Que conclure de là ? que les critiques se sont trompés ? Rien de plus pardonnable, puisqu’il n’y a rien de plus humain que de se tromper ; mais comment et pourquoi se sont-ils trompés ? Là peut-être serait le point vraiment curieux de la discussion. Plaçons-nous dans leur milieu, revivons pour un moment cette période de 1830 à 1838, débordante d’abondance et de force, songeons à ce qui se produisait alors, se créait, la Muette, Guillaume Tell, Robert le Diable, le Freischütz, Oberon, Euryanthe, les Huguenots, toute une aurore de chefs-d’œuvre. Comment ne pas admettre que certains esprits plus enflammés d’enthousiasme, plus vibrans, aient pu, dans un tel éblouissement, négliger la Juive ? Songeons que ces critiques, sévères pour la partition d’Halévy, étaient assourdis de merveilles, et qu’ils eussent écrit tout autrement, si la Juive leur était apparue entre Mireille et Hamlet.

Il s’agit maintenant pour l’administration de se mettre en règle vis-à-vis de l’opinion, qui va naturellement se montrer difficile et ne se contentera plus de belles promesses dans l’avenir et de seconds sujets dans le présent. Le public d’ailleurs saura toujours bien à qui s’en prendre et ne vous demandera compte que des fautes que vous aurez commises. Ainsi personne n’a songé à reprocher au directeur de l’Opéra les maladresses qui ont signalé la soirée d’inauguration : ces députés convoqués officiellement comme membres de l’assemblée souveraine et qui paient leurs stalles d’orchestre ou d’amphithéâtre, la reine d’Espagne à qui l’on envoie réclamer le montant de sa loge ! De pareilles mœurs assurément ne sont, pas nouvelles, et on voit tous les jours des gens qui vous adressent des coupons pour vous achalander à leurs