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porte. Ce gigantesque travail ne contient pas moins de 450 mètres superficiels de peinture. Quand on songe que ces 450 mètres carrés, — de quoi construire un palais, — sont peints avec le soin passionné du véritable artiste qui, rêvant la perfection, ne donne qu’à regret le dernier coup de pinceau, quand on songe que chacune de ces compositions pourrait être descendue de la hauteur ridicule où on les a placées et être posée, sans y perdre, sur la cymaise d’une exposition, on conçoit qu’une telle œuvre ait exigé du peintre dix ans d’un travail claustral et acharné.

Le grand plafond central est consacré, ainsi qu’il convenait dans ce temple de la musique, à l’Harmonie et à la Mélodie, ces deux sœurs qui rappellent trop souvent les fils d’Œdipe et dont cependant l’union seule crée une œuvre immortelle, comme le Don Juan de Mozart. C’est dans le ciel pur, à cent mille pieds au-dessus des frises des théâtres et des luttes d’école, que s’accomplit le divin mariage. Deux figures enlacées s’élancent à travers l’espace. La Mélodie, en palla verte, chante ; l’Harmonie, vêtue de bleu, porte un violon. Ce groupe est confus. Les couleurs des draperies s’atténuent l’une l’autre, et ces jambes et ces bras qui se joignent et qui se confondent sans qu’on sache bien à laquelle des deux femmes ils appartiennent rappellent un peu le Plat de grenouilles de la coupole de Parme. Il est vrai qu’il est permis d’avoir quelques-uns des défauts du Corrège, quand on a plus d’une de ses qualités. À droite de ce groupe, la Poésie, la tête ceinte d’or et le corps drapé de pourpre, est emportée au galop aérien de Pégase. Cette figure équestre, qui sillonne le ciel d’un éclair rouge, est superbe, presque divine ; elle a une hardiesse et un enlèvement indicibles. C’est grand comme l’ange de l’Héliodore chassé du temple, de Delacroix. De l’autre côté, à gauche du groupe principal, la Gloire plane ou plutôt flotte : l’air suffit à cela ; mais cette grosse figure, perdue dans ses draperies rouges, n’a pas le ressort nécessaire pour s’élever et aller dans l’éther rejoindre l’ardent Pégase. Une large balustrade de marbre blanc, surmontée de hautes arcades en perspective, encadre le ciel et lui donne une grande profondeur. Autour de cette balustrade, le peintre a placé une foule d’adorables amours dans les poses les plus variées et les plus charmantes.

Après l’Harmonie et la Mélodie, la Tragédie et la Comédie ; à côté de l’art de Mozart, l’art de Molière, qui l’inspire et en reçoit une vie nouvelle. Dans un ciel orageux, déchiré de fulgurans éclairs, Melpomène, calme et inflexible comme le destin, est assise sur le trépied des pythies. Ce trépied pose d’une façon assez peu explicable sur un aigle au bec tendu et menaçant, aux grandes ailes déployées. La muse tragique, le glaive à la main, est renfermée en