Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/740

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
734
REVUE DES DEUX MONDES.

tais assuré dans un faubourg, après quoi je pris la diligence, et le conduisis secrètement à Flamarande.

Puisque j’avais carte blanche, j’avais fait mon plan. Je m’étais attaché à cet enfant, je tenais à ce qu’il fût heureux ; pour rien au monde, je ne l’eusse confié à de simples mercenaires. Je n’avais jamais rencontré de famille plus unie et plus honnête que celle de Michelin. De plus, je ne voyais pas de localité plus propre que le hameau perdu de Flamarande à ensevelir un secret. C’était une impasse de la montagne, impraticable ou peu s’en faut pour des gens civilisés. Mme de Montesparre, depuis le départ de M. de Salcède, dénoûment douloureux de ses espérances, avait pris Montesparre en dégoût. Elle n’y allait plus et parlait de le vendre. M. de Salcède, s’il revenait de ses lointaines pérégrinations, n’avait plus de raisons pour aller explorer les environs de Flamarande ; mais, eût-il dû y retourner et Mme de Montesparre dût-elle encore lui donner asile dans son château, quel risque pouvaient-ils faire courir au secret de mon maître après les précautions que je comptais prendre ?

D’ailleurs ce qui me détermina principalement, ce fut l’espoir qu’avec le temps M. le comte reconnaîtrait son erreur et réparerait son injustice. Je voulais qu’en ce cas Gaston se trouvât sous sa main, et que, se conformant au texte de la déclaration que j’avais obtenue, le comte pût, sans révéler sa jalousie, dire à sa femme :

— J’ai voulu le faire élever en paysan pour lui assurer une forte constitution, et, prévoyant votre opposition, je vous l’ai soustrait ; mais je ne l’ai point banni de la maison paternelle, il est dans ma terre, dans ma propriété, il est chez moi élevé par des gens qui sont à moi. Je n’ai pas cessé de veiller sur lui.

Il était bien nécessaire, le cas échéant, que M. le comte pût parler ainsi à sa femme et à tout le monde. L’interprétation donnée ainsi par lui de sa conduite étonnerait sans doute de sa part, cependant elle étonnerait moins que de celle de tout autre. On le savait bizarre, et bien des gens le supposaient fou. Dans tous les cas, si quelque blâme pouvait l’atteindre, il n’était passible d’aucun recours judiciaire. Il avait usé de son autorité paternelle avec l’intention d’en user dans l’intérêt de son fils. J’avais obéi, moi, au chef de la famille ; je pouvais faire constater les soins et les égards que j’avais eus pour l’enfant. Il n’était ni dans la catégorie des abandonnés ni dans celle des recelés. Il n’y avait pas suppression d’état. Son acte de naissance était en règle. Celui de son décès n’existait pas plus que celui de sa nourrice, puisqu’on n’avait pu constater que la probabilité de leur mort.

L’installation à Flamarande me parut donc une trouvaille, une