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Chez eux, l’esprit et le cœur se troublent, quand une sorte de mélancolie est devenue le caractère fondamental de leurs réflexions.

« Le roi se plaint de la médecine. Ce n’est pas moi qui en écrirai l’apologie, moi qui n’ai que trop connu les bornes de la science. Les médecins eux-mêmes, la plupart du temps, ne savent pas ce qu’ils devraient savoir, et ce n’est que dans un très petit nombre de cas qu’ils peuvent ce dont le malade a besoin. Alors on dissimule ou on ment de parti-pris. C’est seulement en prévenant les maladies que le bon et grand médecin peut se rendre réellement utile.

« Que Dieu adoucisse les souffrances du bon roi, qu’il le fortifie et le conserve ! »


Ce fut la dernière lettre de Stockmar au roi Léopold. Elle est datée du 18 mai 1863. Le vieillard n’avait plus qu’un petit nombre de jours à passer sur la terre. Quand il a parlé de la mélancolie devenue le caractère fondamental de ses pensées, il nous révèle un des traits les plus vifs de sa nature, le besoin de vivre, d’agir, de pouvoir quelque chose, et d’exercer ce pouvoir en vue du vrai et du bien. Il souffrait plus qu’un autre de l’impuissance de l’âge. Après tant d’années consacrées dans l’ombre au service de ses amis, l’inutilité de son existence l’accablait. Qu’est-ce donc que l’homme, qu’est-ce donc que la vie humaine ? se demandait-il avec découragement. Il triomphait pourtant de ces lugubres idées. Sa grande consolation était dans le culte des lois suprêmes. Il était de la religion de Kant : le sentiment du devoir au fond de son cœur reconstruisait pour lui toutes les magnificences du monde moral. Il avait noté dans les poésies de Goethe certains accens où éclate une foi sereine et victorieuse, la foi en la dignité morale de l’homme, la foi à ses destinées immortelles. Il y a quelques strophes dans lesquelles le poète de Weimar développe à sa manière les grandes paroles de l’apôtre : In Deo vivimus, movemur et sumus. C’étaient celles-là que préférait Stockmar. Il les récitait comme des oraisons. Il s’en était composé une sorte de liturgie dont il fit usage au lit de mort de sa fille, Mme Hermann Hettner, et qui demeura son bréviaire à lui-même jusqu’à la dernière heure. C’est dans ces sentimens qu’il expira le 9 juillet 1863. Il avait près de soixante-seize ans.

Stockmar fut enterré dans un caveau de famille au cimetière de Cobourg. Quelques années plus tard, la fille aînée de la reine Victoria, princesse royale de Prusse, fit décorer ce caveau avec beaucoup d’art, d’après un plan qu’elle avait tracé elle-même. Le sépulcre est de marbre gris. Derrière, contre la muraille du fond, s’élève un autel en marbre de Carrare avec deux anges sculptés par un maître. Au-dessus est une peinture à fresque représentant la scène évangélique du Samaritain. Sous la fresque, une plaque de