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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/490

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le train d’un prince ; le pape le traite en ami, l’accable de largesses, et tant de faveur, n’offusque personne, si modeste est l’attitude du triomphateur. Avec quelle naturelle bonne grâce, en acceptant la direction des travaux de Saint-Pierre, ne se soumet-il pas à ce Fra Giocondo, un brave homme de vieux moine savant que Léon X lui donne pour coadjuteur : Is multa familiaritate potentium, quam omnibus humanitatis officiis comparavit, non minus quam nobilitate operum inclaruit. Ces paroles de Paul Jove, n’ayant trait assurément qu’à cette gentillesse juvénile qui devait valoir au Raphaël de Florence ses succès]et ses honneurs romains, servent à Passavant d’argument pour nous représenter le jeune artiste comme un courtisan ordinaire, empruntant à l’habileté le meilleur de sa renommée.

Que Sanzio fut un adroit mondain, un diplomate fort expert à se gouverner au sein des plus hautes régions, nous l’apprenons par maints passages de ses lettres à Bembo et à Bibiena. « D’après vos conseils, écrit-il de même au comte de Castiglione, j’ai crayonné quelques dessins ; tous en sont enchantés, du moins à ce qu’ils prétendent ; mais moi, je ne me sens point satisfait, et c’est assez pour que je préjuge que vous non plus ne le serez pas. » Ce qui signifie, avec une légère pointe d’esprit de cour : les autres n’y entendent rien, et vous et moi sommes les seuls qui nous y connaissions. Ailleurs, répondant à Francia, nous le verrons se déclarer incapable de faire, d’après ses propres traits à lui, Raphaël, une étude qui se puisse comparer à l’excellent portrait de Francia, peint par Francia, dont son auteur le gratifie[1]. Que le comte de Castiglione fût un connaisseur délicat et Francia un très bon peintre, Raphaël n’en devait douter et savait non moins pertinemment qu’il était, lui Raphaël, meilleur connaisseur que Castiglione et meilleur peintre que Francia ; mais il avait l’humilité charmante et la suavité des natures exquises, toujours enclines à demander pardon pour leur mérite et s’ouvrant la voie par la douceur, ce qui du reste n’exclut ni la pénétration des hommes ni le sentiment de soi-même. Habile à se concilier des protecteurs, à choisir, à retenir, à manier ses élèves, Raphaël estimait tout aussi haut que Michel-Ange le prix de son travail. Une lettre à son oncle nous le montre envisageant la question du mariage au simple point de vue où se placerait un brillant seigneur de notre temps. Il s’enquiert de la fortune, du nom ; quant à la jeune fille, qu’elle soit ce qu’elle voudra, c’est le

  1. « J’aurais pu le faire exécuter par un de mes élèves et y mettre la dernière touche ; mais je ne veux point qu’il en soit ainsi, car il faut qu’on sache que je suis incapable d’atteindre à la perfection du vôtre ! » Lettre de Raphaël à Francesco Francia de Bologne.