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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/525

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empruntent à Pétrarque, et par le fond, qui respire un insurmontable dégoût des choses terrestres, la même vague, profonde et constante aspiration vers l’éternel inconnu.

Les poésies de Michel-Ange se divisent en sonnets, madrigaux, chansons et tercets ; l’habileté de main, le talent, ne se discutent pas : il jongle avec les images et les rimes, et si vous tenez à savoir à quel point il est lui-même atteint du mal héréditaire dont se meurt la poésie lyrique italienne, vous l’apprendrez en parcourant les quarante-huit épitaphes offertes par lui au choix d’un de ses amis, Cecchino Bracci, qui venait de perdre son fils et n’avait pour ainsi dire qu’à prendre dans le tas. Le plus souvent, c’est la circonstance qui fait le poème : son père meurt, il déplore la perte et chante ses vertus en tercets. Dans un sonnet à Jules II, il lui rappelle les promesses faites par le saint-père à Michel-Ange et que le saint-père n’a point tenues. À Vasari, pour sa Vie des peintres, un sonnet, un sonnet à Luigi del Riccio pour l’envoi d’un baril de malvoisie. Assez de ces bagatelles ; laissons au lyrisme du temps et du pays ces badinages, qui d’ailleurs se retrouvent partout où la littérature madrigalesque pousse sa mauvaise herbe, et ne consultons que la majeure partie du recueil qui s’adresse à Vittoria Colonna. Si l’amour platonique eut jamais sa réalisation en ce monde, ce fut à ces deux êtres qu’il le dut ; « leur sublime s’amalgama, » pourrait-on dire d’eux comme Saint-Simon parlant de Fénelon et de Mme Guyon. L’âge qu’ils avaient en 1536 lorsqu’ils se rencontrèrent les prémunissait l’un et l’autre contre, les ardeurs de la passion, elle surtout, si éprouvée, et dont la jeunesse avait vu si hâtivement s’évanouir ses rêves de bonheur. Déçue en ses aspirations terrestres, cette âme n’eut alors qu’à tendre vers Dieu ; l’art et la religion furent invoqués comme refuge et consolation suprême. Ce n’est guère qu’en s’adressant à leurs poésies mutuelles, qu’en traduisant leur mysticisme et leurs allégories en langue vulgaire, qu’on parvient à se renseigner quelque peu sur leurs premières relations. Les âmes dès longtemps s’étaient devinées, et leur commerce une fois établi devint chaque jour plus intime et se prolongea sans un nuage jusqu’à la mort de Vittoria. Il y a même à ce sujet un mot bien touchant de Michel-Ange : « Je l’ai mainte fois entendu répéter, écrit son biographe Condivi, qu’ayant vu cette noble dame sur son lit de mort, son plus grand chagrin était de ne lui avoir baisé que la main alors qu’il aurait dû aussi la baiser au front et au visage. » Amor intellectualis, a dit Spinoza pour définir cet élan qui pousse l’âme vers le bien, le vrai et le beau, et rien ne s’applique mieux que cette expression au sentiment qui inspire les sonnets amoureux de Michel-Ange. J’ai parlé de Pétrarque ; ne serait-ce pas plutôt le souvenir de Dante et de Béatrix qu’il