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2° l’affaiblissement de l’esprit de sacrifice par les jouissances du bien-être et de la richesse. La création et l’entretien des armées n’imposent en effet aux nations que des efforts limités, intermittens, proportionnels aux promesses de paix ou aux menaces de guerre que contiennent les événemens. Pour fonder et pour faire durer les institutions militaires qui sont indépendantes des événemens, il faut que les nations consentent de lourds sacrifices auxquels les riches et les pauvres sont indistinctement soumis et dont le caractère est permanent. Il est donc plus facile, peut-être devrais-je dire plus commode, d’avoir des soldats que des institutions. J’insiste sur cette observation, qui est fondamentale et peut-être nouvelle, au moins en France, où la question de la défense nationale, — question de vie ou de mort, à présent que nos frontières sont à l’avance pénétrées, — n’a pas été, que je sache, étudiée de ce point de vue.

Je vais plus loin. Je dis que la valeur des institutions militaires est directement proportionnelle à la grandeur des sacrifices que font les nations pour s’en assurer le bénéfice. Ainsi, lorsque la France, recrutant une grande part de son armée et la plus grande part de ses cadres inférieurs par le remplacement et par l’exonération, libérait du devoir et du risque des armes toutes les classes qui possédaient, les sacrifices qu’elle faisait pour la guerre étaient assurément un minimum auquel répondait un minimum proportionnel de puissance et de ressort dans les institutions militaires. Lorsqu’à côté d’elle la Prusse, depuis plus d’un demi-siècle, assujettissait toutes les classes de la nation à la loi commune du service militaire, ses sacrifices pour la guerre étaient assurément un maximum auquel répondait un maximum de puissance et de ressort dans les institutions militaires. Quel pouvait être, — en dehors et au-dessus des considérations passionnées, injustes, incompétentes, secondaires dans tous les cas, qu’on a fait valoir pour l’expliquer, — le résultat de la rencontre sur le champ de bataille de ce minimum et de ce maximum ? Le résultat qu’on a vu en 1866 de Trautnau à Sadowa, en 1870 de Wissembourg à Sedan, c’est-à-dire le problème de la guerre résolu avec une décision, une rapidité et des succès dont l’histoire des armées n’offre pas d’exemples.


II. — POURQUOI NOS INSTITUTIONS MILITAIRES SONT INSUFFISANTES. — LA LEGENDE.

Les institutions militaires sont exclusivement l’œuvre des longues paix. Pour en étudier et en trouver les principes, pour en fixer les