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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/737

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d’affaires « qui rendent l’esprit épais, » car il se ruina le plus galamment du monde, et il mourut au bout de dix ans de mariage, laissant à sa femme la charge d’un fils à élever, avec une fortune singulièrement diminuée, dont la terre assez peu productive de Nohant formait une large part. Il est temps de parler de ce fils, dont la biographie et la correspondance occupent presque exclusivement les trois premiers volumes de l’Histoire de ma vie, et avec lequel sa fille aimait à se trouver de frappantes ressemblances. À vrai dire, ces ressemblances n’ont rien de très apparent. À en juger par ses lettres, Maurice Dupin paraît avoir été une nature aimable et heureusement douée, passionnée pour la gloire militaire, capable de généreux sentimens, mais animée surtout d’une belle humeur élégante qui ne lui a fait défaut dans aucune circonstance de sa vie. Il raconte ses débuts à Paris et à l’armée, ses campagnes, ses espérances, ses déboires, avec une simplicité, un enjouement, qui ne se démentent pas un seul instant. Or ce n’est ni par la simplicité ni par l’enjouement que se distingue l’auteur de Lélia. L’héritage le plus direct que Maurice Dupin paraît avoir laissé à sa fille, c’est un enthousiasme sincère pour les principes de la révolution française, enthousiasme qui au reste lui fut commun avec presque tous les jeunes gens de sa génération. Ce n’est donc pas uniquement vers le côté paternel qu’il faut se tourner si l’on veut chercher ce que George Sand peut devoir à la race. Il faut bien parler un peu de sa mère, et je ne laisserais pas que de me sentir ici assez embarrassé, si elle-même, dans ses Mémoires, ne nous avait donné l’exemple de le faire en toute liberté.

À peu près vers le temps où les demoiselles Verrières vieillissaient dans leur petite maison de la chaussée d’Antin, un artisan nommé Antoine Delaborde, après avoir tenu dans je ne sais quel coin de Paris un estaminet où il avait assez mal fait ses affaires, s’établissait marchand de serins et de chardonnerets dans une boutique du quai des Oiseaux, d’où il tirait la qualification de maître paulmier et oiselier. Il avait épousé de bonne heure une demoiselle Clocquart, qui mourut bientôt, le laissant père de deux filles, dont l’aînée se faisait appeler Antoinette avant la révolution, Victoire sous l’empire et Sophie à la fin de sa vie. Cette jeune fille était assez remarquable par sa beauté pour se voir chargée, un jour de fête républicaine, de porter à Lafayette une couronne de roses que le galant général replaça sur sa tête en lui disant : « Aimable enfant, ces fleurs conviennent à votre visage plus qu’au mien. » La couronne de roses était sans doute fanée depuis longtemps lorsqu’Antoinette Delaborde abandonna son métier de modiste pour monter, en cachette de la grand’mère Clocquart, sur les planches d’un petit théâtre, où elle figura en qualité de comparse. À partir de cette première