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si gros bénéfices à l’éditeur et à l’auteur, est-il une richesse ? Les Anglais vendent aux Chinois pour 300 millions d’opium : est-ce là une vraie richesse ? Évidemment non. En effet, que l’empereur fasse jeter dans la mer tout cet opium, et loin que la Chine y perde, elle y gagnera d’avoir moins de gens abrutis et incapables de travailler. Peut-on appeler richesse un objet dont la perte vous enrichit ? L’opium est une valeur pour le marchand qui trouve des gens assez insensés pour lui donner en échange de l’or avec lequel il se procurera des choses utiles ; mais pour la nation, pour l’humanité, c’est une non-valeur, puisqu’il ne sert qu’à produire l’hébétement et l’idiotisme. Il en est de même, à un moindre degré, du tabac et des liqueurs fortes : ce sont des poisons qui coûtent du travail, qui s’échangent, qui par conséquent aux yeux des économistes sont des richesses, et cependant leur anéantissement serait un bienfait. Il faut donc distinguer les vraies et les fausses richesses, et c’est grâce aux indications de l’hygiène et de la morale qu’on fera cette distinction capitale.

L’influence de la morale se fait sentir à chaque pas dans les questions économiques. La base du crédit est la confiance, et la confiance est en raison de la probité confirmée par de bonnes lois. Là où manque la bonne foi commerciale, le crédit n’existe pas ou le taux de l’intérêt est exorbitant. Dès qu’il n’y aura plus de caissier qui ne mette à sec le coffre-fort, d’encaisseur qui n’emporte le produit des bordereaux, d’administrateur qui ne fasse de faux bilans pour écouler ses titres et de lanceur d’affaires qui ne demande des concessions que pour voler le public, c’en sera fait de l’industrie. Ce n’est pas dans une forêt de Bondy qu’on verra se multiplier les usines et fleurir le commerce : et l’on comprend bien pourquoi l’Orient ne ressemble pas à l’Angleterre. Les pays où la probité manque parmi les fonctionnaires sont exposés à en pâtir cruellement. La Russie et la Turquie viennent d’en faire tour à tour la triste expérience. La force morale agit puissamment sur la productivité du travail. L’ouvrier qui, comme on dit, a le cœur à l’ouvrage et qui accomplit sa tâche par sentiment du devoir ou même par amour-propre, fera de bien meilleure besogné. S’il ne songeait qu’à appliquer la fameuse règle de l’intérêt bien entendu qui consiste à livrer le moins de sa denrée au plus haut prix possible, il ne ferait pas la moitié autant. De quelle importance n’est pas la probité commerciale dans la livraison des marchandises ! Le vendeur qui trompe ses cliens, surtout à l’étranger, se ferme ce débouché non-seulement pour lui-même, mais aussi pour le pays auquel il appartient. Le propriétaire qui ne pressure pas ses tenanciers, qui vient à leur aide dans l’adversité et qui ainsi établit entre eux