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la révolution française : multiplier les petits propriétaires en répartissant équitablement l’ager publicus ; mais ni ses lois agraires ni celles de Licinius et de vingt autres tribuns du peuple, pas plus que les distributions de terres faites par les généraux victorieux, n’arrêtent la marche envahissante de la grande propriété et la destruction des hommes libres. L’inégalité augmente sans relâche. Les grands s’enrichissent des dépouilles des provinces, le procès de Verrès nous apprend par quels procédés. Le nombre des pauvres va croissant. Quand la république est devenue la proie de quelques oligarques qui se la disputent, elle est mûre pour le despotisme. Quoique le pouvoir tombe parfois aux mains d’hommes de bien, l’empire ne fait que donner plus de force aux causes de désorganisation sociale. La dépopulation s’étend de l’Italie aux provinces. Quand les barbares arrivent, ils occupent peu à peu la place vide. Les latifundia et l’esclavage avaient tout perdu.

Dans l’histoire moderne, nul fait n’est plus frappant que la chute si rapide de l’Espagne à partir du XVIe siècle. Jusqu’à Charles-Quint, elle est peuplée, riche, très bien cultivée, jouissant de libertés locales plus grandes qu’aucun autre peuple, remplie d’industries prospères de toute espèce : cuirs de Cordoue, armes de Tolède, draps de Ségovie, soieries de Séville, feutres de Valence. Par une série de crimes politiques et de fautes économiques, les juifs, — la banque et le commerce, — et les Maures, — l’agriculture, — sont exterminés, le travail est mis à l’amende, l’industrie frappée de taxes stupides, l’activité et l’initiative tuées par le despotisme et la théocratie, tout le monde ruiné par l’impôt. La richesse tarit, la population disparaît, les fermes sont abandonnées, les despoblados, le désert, s’étendent ; comme l’Italie, après les Gracques, la Castille devient un pâturage que parcourent les moutons de la mestra. La cour même est dans la misère. Les couvens seuls sont riches et peuplés. En moins d’un siècle, l’Espagne, qui faisait trembler toute l’Europe, est réduite à n’être plus qu’un état de troisième ordre. Pendant ce temps, la liberté et le commerce font la grandeur de la Hollande et ensuite de l’Angleterre, qui tour à tour règnent sur l’Océan. Toujours l’effet de causes économiques. Il faut lire dans le beau livre de M. Taine : les Origines de la France contemporaine, le chapitre où il peint l’effroyable misère du peuple sous l’ancien régime. C’est le pendant de l’Espagne sous les descendans de Philippe II. Ici aussi la terre reste en friche, les citoyens les plus industrieux sont proscrits par l’intolérance, les mariages sont stériles, la population diminue, la misère devient générale. Le despotisme accomplit, comme partout, son œuvre maudite de ruine et de désolation. Comment se fait-il que l’empire germanique ait passé des