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lutte était encore possible, en effet, elle ne pouvait l’être qu’à cette condition. Il fallait que la France parût une dans sa résistance ; et pour cela, il fallait que sa cause parût identifiée à Napoléon, inséparable de sa personne. Or le maintien des chambres devait rendre impossible cette illusion nécessaire. Avec elles, la France allait apparaître divisée contre elle-même ; on verrait qu’une partie refuserait d’associer l’existence nationale à la fortune du souverain, tandis que l’autre, par amour aveugle du souverain, serait, prête à compromettre cette existence même. D’ailleurs, même quand elles vont vite, les assemblées procèdent encore avec trop de lenteur, ; et les circonstances étaient de celles qui n’admettaient pas une lutte languissante. Ce conseil rejeté, l’abdication était inévitable, et une fois cet acte accompli, Davout vit clairement qu’il n’y avait qu’un seul dénoûment à la crise dans laquelle s’agitait la France, et que ce dénoûment était fatal.

Ce fut librement qu’il accepta cette solution, car qu’un tel homme ait pu être la dupe de Fouché, comme on l’a écrit et comme sa fille semble l’admettre, c’est ce qu’il nous est très difficile de croire. Quel besoin Davout avait-il de Fouché pour comprendre que, Napoléon ayant abdiqué et le gouvernement de son fils sous une régence n’ayant aucune chance d’être accepté par les alliés, il n’y avait pour la France que deux alternatives : ou se prêter au rétablissement des Bourbons, ou revenir à l’anarchie révolutionnaire, qu’il abhorrait de toute son âme ? Mais, après comme avant l’abdication, l’indépendance nationale restait son principal souci. Il lutta autant qu’il le put pour que le nouveau gouvernement fût ou parût un choix de la France et non une conséquence de la conquête, et pour empêcher que les alliés ne s’arrogeassent le droit d’imposer à la France ses conditions d’ordre intérieur. Après l’abdication, il essaya de négocier un armistice avec les généraux des armées alliées en cherchant à leur faire accepter la distinction qu’il établissait dans sa pensée entre la France et le souverain qui était la cause unique de la guerre. « Les motifs de la guerre que nous font les souverains alliés n’existent plus, puisque l’empereur Napoléon a abdiqué, » disait-il dans une lettre fort noble adressée à Wellington. C’est le raisonnement par lequel après Sedan le parti républicain essaya d’arrêter la guerre ; le moyen, il faut le dire, ne réussit pas mieux à Davout en 1845 qu’à la république en 1870. Wellington lui répondit en gentleman correctement poli qu’il ne, s’arrêterait que lorsqu’il aurait obtenu des conditions de paix stable ; Blücher lui répondit en fanatique qui se venge que l’abdication de Napoléon n’emportait pas toute raison de continuer la guerre, et que les alliés poursuivraient leur victoire, Dieu leur en ayant donné la volonté et les