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En contant sa légende, Tristan prend des mines si tragiques que la Payse éclate de rire.

— Il n’y a pas de quoi plaisanter, dit-il, vexé : c’est l’éternelle histoire de la sirène aux cheveux d’or, à la voix charmeresse, fatale à ceux qui la regardent et qui l’écoutent.

— Oh ! réplique la Payse en continuant de rire, votre histoire n’est pas neuve, il y a une vieille chanson de chez nous qui raconte également les méfaits d’une charmeuse, sœur de Dahut.

En même temps, de sa voix métallique et mordante, elle se met à fredonner :

N’y a ni poisson ni carpe,
Qui n’en aient pas pleuré ;
N’y a que la Sirène
Qui ait toujours chanté.


— Croyez-moi, reprend-elle, en dardant vers lui ses yeux moqueurs, il y a des momens dans la vie où on voudrait pouvoir chanter en dépit de tout, et où on serait heureux d’avoir l’insouciance de la sirène.

— Vous en êtes peut-être une vous-même, avec vos yeux verts, riposte Tristan, furieux de voir l’effet de sa légende complètement manqué ; vous avez l’air d’une ondine et je ne m’étonnerais pas si l’ourlet de votre robe était mouillé…

Nous remontons en voiture, et il est près de sept heures quand nous atteignons Audierne. La rivière a de magnifiques teintes violettes ; le quai, désert ce matin, s’anime et s’égaie ; les barques des pêcheurs rentrent dans le port ; des Anglais en veston court et des Anglaises aux voiles bleus descendent d’un break, — Sur le seuil de l’hôtel, Batifoulier, grave et impassible, sonne le dîner. Il tire la corde lentement, pompeusement, avec sa mine de grand pontife convaincu. Les tintemens se succèdent à des intervalles réguliers, sans hâte ; puis viennent les trois coups d’appel bien détachés, et, sans même daigner nous voir, l’hôte s’achemine majestueusement vers la salle à manger.


Dimanche, 5 septembre.

C’est le jour des régates, un jour de liesse pour cette petite ville dont la population vit de la mer et dont la principale industrie est la pêche. La sardine est la richesse de Douarnenez ; dans l’antiquité, on lui eût consacré un temple ; aujourd’hui on se contente de sculpter l’image de ce poisson providentiel au fronton des églises locales. — La sardine arrive sur la côte aux environs du