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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/70

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parti, mais elle a besoin qu’on le lui indique. Sa société n’a pas pour elle, à ce qu’il paroît, une grande déférence, car, dans le moment présent par exemple, les Polignac et M. de Vaudreuil sont avec ferveur pour le cardinal, et le comte d’Artois a montré pour lui le plus vif intérêt. En général, je ne trouve pas qu’on ait pour la reine le sentiment qu’elle devroit inspirer. Son désir de plaire ne lui a pas réussi, même autant que cela auroit fait à une particulière. C’est peut-être une preuve que, malgré la légèreté de ce pays-ci, cette nation a besoin de trouver chez ses souverains des vertus éminentes, et ne s’attache à eux que par leur activité.


En rendant ce témoignage à la reine, M. de Staël ne faisait que reconnaître l’appui qu’elle lui avait prêté dans l’affaire de son mariage et la bienveillance qu’elle avait témoignée depuis lors à la jeune ambassadrice. Cette bienveillance avait eu lieu de se manifester le jour de la présentation de Mme de Staël à la cour, qui eut lieu le 31 janvier 1786. Au moment où elle se préparait à faire à la reine les trois révérences d’étiquette, la garniture de sa robe, mal ajustée, se détacha, et le trouble où la jeta ce petit accident lui fit manquer une de ces révérences, probablement la troisième, qui était la plus difficile, parce qu’en se relevant la personne présentée faisait le simulacre de prendre le bas de la robe de la reine pour la porter à ses lèvres. Comme Mme de Staël devait, après sa présentation, assister à un grand dîner de quatre-vingts couverts donné en son honneur, l’embarras que lui causait le désordre de sa toilette de cour était grand. Elle se fût trouvée fort en peine avec sa garniture pendante si la reine ne l’eût avec bonté fait entrer dans ses appartemens particuliers et n’eût fait rajuster la garniture par une de ses femmes pendant qu’elle s’efforçait, par ses propos bienveillans, de remettre de son émotion la jeune ambassadrice. Ce petit incident fit assez de bruit et donna lieu immédiatement à un quatrain qui n’avait au reste rien de désagréable pour Mme de Staël :


Le timide embarras qui naît de la pudeur,
Bien loin d’être an défaut, est une belle grâce.
La modeste vertu ne connaît pas l’audace,
Ni le vice effronté l’innocente rougeur.


Quelque temps après, la reine devait encore donner à Mme de Staël une nouvelle marque d’intérêt d’une nature plus délicate et plus intime. Le jeune ménage de Staël vivait largement à Paris et menait à l’hôtel de l’ambassade assez grand train d’élégance. La reine, qui avait été mêlée aux négociations du mariage, savait de quelles ressources il pouvait disposer, et, craignant sans doute que ces ressources ne fussent pas tout à fait en proportion avec d’aussi