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rendus aujourd’hui au nom allemand avec cette sorte de tolérance dédaigneuse et compatissante dont nous étions autrefois l’objet. A l’intérieur aussi, les progrès accomplis défient toute comparaison… Et pourtant, dans une foule d’esprits, la reconnaissance pour les résultats obtenus, la confiance joyeuse dans l’avenir ont fait place à un certain malaise. Il ne manque pas de raisons pour expliquer cette fâcheuse disposition, si commune aujourd’hui. Les conséquences des calamités économiques qui nous avaient frappés n’ont pas encore été réparées, quoique un mieux sensible tende à se produire. L’ultramontanisme emploie incessamment les perfides artifices qui lui sont familiers à propager partout le mécontentement que lui fait éprouver l’échec de ses plans de domination, en quoi il est aidé par le travail souterrain de la démocratie sociale, qui, fomentant les mauvaises passions et les convoitises des uns, les inquiétudes des autres, s’applique à empoisonner l’esprit public. Toutefois on n’a pas encore réussi à aigrir les populations prises dans leur masse. Les incertitudes, les défiances, les soucis, le mécontentement sont surtout répandus parmi ceux qui prennent une part immédiate et active aux luttes politiques, ou qui du moins les suivent avec un intérêt constant. Cette mauvaise humeur se manifeste particulièrement chez les libéraux, qui tremblent, non pour l’unité de l’Allemagne, mais pour quelques-unes des libertés récemment conquises. Le centre catholique, qui s’était flatté de l’espoir d’être récompensé des services qu’il avait rendus au gouvernement dans la réforme du tarif douanier, a été déçu dans son attente, et s’il consent à adoucir en quelque mesure ses procédés, il n’en persévère pas moins dans son système d’opposition à outrance. Les partis conservateurs eux-mêmes, quoique les signes des temps leur semblent plus propices, paraissent moroses et peu rassurés ; l’extrême droite pressent que, dans le cas le plus favorable, elle devra renoncer à plusieurs de ses prétentions, et les modérés s’efforcent vainement de constituer dans le parlement une majorité à la fois conservatrice et libérale qui ait une assiette solide. Assurément chacun des partis qui nous divisent a ses griefs et ses sujets de plainte ; nous ne voulons pas rechercher ce qu’il y a de fondé dans leurs doléances, nous tenions seulement à constater qu’en dépit des brillans succès remportés durant ces dix dernières années, le découragement est la maladie régnante dans nos cercles politiques[1]. »

Ainsi parle M. le docteur Jolly dans sa brochure, qui, à ce qu’il paraît, n’a pas été composée et publiée sans l’aveu de M. de Bismarck ; en tout cas, elle est de nature à lui plaire. En l’écrivant, l’ancien ministre badois s’est proposé de combattre le pessimisme et les dispositions chagrines de beaucoup d’Allemands enclins à voir les choses en noir. Il se plaint qu’il y a parmi ses compatriotes trop d’idéalistes intransigeans, dont

  1. Der Reichstag und die Partheien, von Dr Jolly ; Berlin, 1880.