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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/968

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ajouter sa surprise à toutes celles dont la diversité successive tenait depuis trois heures le spectateur sous le charme, et le répertoire, à ce que l’on croyait, comptait une comédie de plus, en cinq actes et en prose.

Je ne me suis pas tellement éloigné de M. Dumas, puisque je n’ai fait que paraphraser, si j’ai bonne mémoire, quelqu’une de ses Préfaces. Faut-il montrer qu’il avait raison contre Scribe et donner des exemples de ces conventions inutiles et gênantes ? Au premier acte de la Princesse de Bagdad, Nourvady, dans un récit bien bizarre d’ailleurs, prononce cette phrase : « Il y a des jours où j’ai le bras droit comme paralysé. Qui voudrait avoir raison de moi, si je l’avais offensé, n’aurait qu’à choisir l’épée ; je serais tué probablement à la seconde passe. » On a pris cette phrase pour une préparation, et puisqu’il était question d’un moyen sûr de tuer l’homme aux quarante millions, on s’est étonné de ne pas le voir provoqué d’abord et tué par le comte de Hun. Je ne veux défendre ni la tirade elle-même ni cette phrase en particulier ; mais je dis qu’avec cet argument on aura bientôt supprimé la moitié des traits qui peuvent servir à peindre un caractère. Vous en pouvez faire l’expérience. Voilà une convention matérielle dont il faut se débarrasser. Ferai-je remarquer en passant qu’elle a comme étranglé la comédie en vers ?

Voici maintenant une convention littéraire. Il fallait que l’intrigue

Tournant comme un rébus autour d’un mirliton,


s’enroulât pour ainsi dire autour d’un personnage intéressant, doué d’abord de toute sorte de bonnes qualités, du premier mot jusqu’au dernier digne de la sympathie, des âmes bourgeoises, bon père, bon époux et bon fils, ou bonne fille, bonne épouse et bonne mère, et tout au plus passementé de quelques légers ridicules, que d’ailleurs on se gardait de pousser assez loin pour qu’ils risquassent de déplacer les sympathies du spectateur. Que s’il manquait, parfois, de ces bonnes qualités, il avait au moins les qualités qui séduisent, don Juan de la banque, ou Célimène de la rue Saint-Denis. On entend encore aujourd’hui réclamer, dans une comédie de mœurs ou dans un drame, ce personnage intéressant. Je discuterai l’argument quand on m’aura dit à qui l’on s’intéresse, au sens restreint du mot, dans le Légataire universel, à qui dans Turcaret, et à qui dans le Mariage de Figaro ?

Enfin, citons une couvention morale que M. Dumas, à bon droit, se fait honneur d’avoir expulsée de la comédie contemporaine : « Il était convenu en ce temps-là qu’un enfant naturel devait gémir, pendant cinq actes, de n’avoir pas été reconnu, et qu’à la fin, après toute sorte d’épreuves plus pathétiques les unes que les autres, il verrait son père se repentir, et qu’ils se jetteraient dans les bras l’un de l’autre en s’écriant : Mon père ! mon fils ! aux applaudissemens d’un public en larmes. » A quoi rimait cette convention ? de quel sentiment pouvait-elle procéder ? et quelle raison de la maintenir pouvait-on bien invoquer ?