Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conduire à Egra… Je ne suis point en peine de vaincre tous les obstacles que pourra m’opposer le prince Lobkowitz et résolu de l’attaquer et de le combattre partout, s’il ose se mettre sur mon chemin. … Je doute fort qu’il le fasse, et j’oserais vous répondre de tout si j’étais en état d’agir. Je supplée autant qu’il est en mon pouvoir à ce défaut essentiel par les meilleures dispositions et les exhortations les plus pathétiques. Je serai au milieu et le plus à portée que le terrain et mon état pourront le permettre pour donner des ordres. L’article de la rigueur de la saison est celui contre lequel je peux le moins ; mais enfin le sort en est jeté… J’espère pouvoir arriver à Égra le 25 ou le 26. Vous comprendrez aisément, monsieur, quelle est la situation d’un homme sur lequel roule le succès d’une pareille entreprise, pour laquelle il faudrait être partout, et qui a le malheur de ne pouvoir être de sa personne nulle part. Cette douleur et cette inquiétude se renferment au dedans ; je ne laisse voir que le courage de l’esprit pour le donner aux autres[1]. »

L’ordre du jour adressé aux troupes s’exprime également avec ce ton d’autorité qui respire la confiance et la commande. Les admonestations les plus sévères sont faites aux officiers de ne jamais s’écarter de leur troupe et de partager toutes leurs souffrances. Défense absolue d’amener aucune espèce de carrosse, charrette, chaise roulante de quelque nature que ce puisse être. « Le maréchal est bien fâché de ne pouvoir avoir sur cet article aucune espèce de condescendance et il avertit que les premières voitures qui se trouveront seront pillées et brûlées. S’il y a des officiers dont la santé ne permette pas de faire leur service et de rester à cheval, ils n’ont qu’à rester à Prague… C’est à eux aussi de contenir les soldats, de faire observer la plus exacte discipline et d’empêcher la maraude, d’autant que ce qui traînera, ou s’écartera, sera pris par l’ennemi ou assommé par les paysans… Quoique les officiers, ajoute-t-il enfin (comme si, déjà rendu à Versailles, il eût tenu dans ses mains la récompense aussi bien que le châtiment), guidés uniquement par leur devoir, n’aient besoin d’aucun autre motif, le maréchal est néanmoins bien aise en leur montrant la gloire qu’ils acquerront dans une opération si importante, de les assurer qu’il emploiera tout son crédit et toutes ses forces pour leur procurer les grâces du roi, et les récompenses qu’ils ont déjà en partie méritées. Il ne croit pas devoir en dire davantage à des troupes qui savent depuis longtemps l’affection qu’il leur porte[2]. »

  1. Belle-Isle à Breteuil, 16 décembre 1742. (Correspondance de Belle-Isle avec divers. Ministère des affaires étrangères.) — Mémoires du duc de Luynes, t. IV, p. 450. t. IX, p. 402.
  2. Instruction du maréchal de Belle-Isle aux troupes. (Correspondances diverses. Ministère de la guerre.)