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Comment s’expliquer maintenant que des idées que Hegel jugeait profondes paraissent aujourd’hui superficielles à nos jeunes écoliers ? Aurions-nous donc fait tant de progrès en philosophie ? Sans doute il faut faire une part à l’action personnelle et au prestige de Victor Cousin ; il faut reconnaître aussi que beaucoup d’idées alors nouvelles ont pu devenir banales avec le temps par le fait même d’un enseignement très généralisé de la philosophie : c’est précisément le propre et la suite de tout enseignement de changer bien vite les nouveautés en lieux-communs ; et il serait de la dernière injustice d’en faire rejaillir la défaveur sur celui-là même qui a introduit ces nouveautés et fondé cet enseignement ; mais il y a, pour expliquer la contradiction précédente, d’autres raisons plus décisives et plus péremptoires.

L’ouvrage qui porte pour titre : le Vrai, le Beau et le Bien, n’est guère connu aujourd’hui que par l’édition remaniée en 1845, et plus tard encore en 1853, par Victor Cousin lui-même : c’est la seule qui ait cours ; mais il ne faut pas oublier que, dans la seconde période de sa carrière, à partir précisément de 1845, Cousin, soit par des scrupules de doctrine, soit par des scrupules littéraires, a fait lui-même les plus grands efforts pour atténuer, amortir, éteindre les traces de sa propre originalité. Nous entrerons dans plus de détails sur ce point quand nous arriverons à cette période de sa vie. Ce qui suffit quant à présent, c’est de savoir que, si l’on veut se rendre compte du cours de 1818 et de l’effet produit à cette époque, il faut lire non l’édition récrite après coup, quoique plus belle peut-être au point de vue littéraire, mais l’édition première, celle de 1836, publiée par Ad. Garnier sur les rédactions mêmes des élèves de l’École normale[1].

Si l’on compare l’édition de 1836 à celle de 1845 ou de 1853, voici le fait qui frappe tout d’abord : c’est que la première partie du livre, celle qui traite du Vrai, remplit la moitié du cours primitif, tandis qu’elle n’occupe que le quart de l’ouvrage corrigé ; et cela ne tient pas seulement à quelques additions dans le reste du volume, mais à des suppressions considérables dans la première partie. Pour ne pas fatiguer le lecteur par des précisions trop matérielles, disons que, toute comparaison faite, il résulte qu’une centaine de pages, et des plus importantes, ont disparu- du texte, et que le reste, ainsi

  1. Cette publication était la reproduction littérale des rédactions de l’École normale, comme j’ai pu m’en assurer moi-même en 1845, ayant eu ces rédactions entre les mains pendant près d’une année. Elles ont disparu depuis.