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philosophie que cette étude. Mais ce n’est pas ainsi que le principe s’est présenté tout d’abord. Cousin, fidèle à l’école de Royer-Collard, ne sépara jamais le principe de l’éclectisme de celui de la méthode psychologique. La vraie méthode, pour la philosophie comme pour les sciences, est la méthode d’observation, et c’est le mérite du XVIIIe siècle de l’avoir posée ; mais cette observation, qui porte sur la conscience, ne doit pas être exclusive ; elle doit exprimer ce qui est dans la conscience, rien que ce qui y est et tout ce qui y est. Ainsi, le point de départ de la science, c’est bien toujours la méthode du XVIIIe siècle, mais pratiquée dans un esprit nouveau, dans l’esprit éclectique. Or, c’est ce qui n’avait pas été fait. Toutes les écoles du XVIIIe siècle avaient pratiqué la méthode psychologique, mais dans un esprit exclusif, en insistant sur un seul élément de la conscience, en niant les autres. La vérité, c’est ce qu’elles affirment ; l’erreur, c’est ce qu’elles nient.

Il y a d’abord deux grandes écoles au XVIIIe siècle : d’une part, celle de Locke et de Condillac ; de l’autre, celle de Reid et de Kant. Les unes expliquent l’intelligence tout entière par la sensation et font de la pensée ou du moi le reflet du monde matériel. À cette première école Cousin fait trois objections : 1° le moi, suivant Locke, ne travaille que sur des objets changeans et contingens ; comment arrive-t-il au nécessaire et à l’absolu ? 2° le moi, dispersé dans le multiple, ne peut se trouver lui-même ; il ne peut atteindre à l’unité et, par conséquent, il ne peut pas apporter l’unité à la multiplicité ; 3° le moi de Locke et de Condillac ne peut pas même arriver à l’idée de la sensation, car s’il n’est qu’un redoublement de l’impression sensible, cette impression restera toujours impression sans s’élever à l’idée. Le moi n’est pas le produit du dehors ; il réagit sur le dehors ; c’est lui « qui impose l’unité à la matière » au lieu de la recevoir.

L’autre école, celle de Kant, développée et systématisée par Fichte, part du moi, elle en trouve la preuve dans le fait irrésistible de la liberté. Mais comment du moi peut-on s’élever à l’absolu, et aussi comment du moi peut-on passer au non-moi ? Dans cette doctrine, les principes absolus ne peuvent être que les formes du moi. De deux choses l’une : ou il faut que le moi crée l’absolu de toutes pièces par un acte pur et libre (c’est la doctrine de Fichte), ou qu’il le subisse comme une loi nécessaire (c’est la doctrine de Kant). Dans les deux cas, l’absolu devient relatif, subjectif ; le non-moi est absorbé par le moi.

Indépendamment de cette objection générale contre les écoles subjectives, Victor Cousin dirigeait un argument particulier contre celle de Fichte. L’erreur de Fichte est de ne pas avoir aperçu dans