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voulut réunir sous son nom les titres des créances qu’il possédait, il rencontra de sérieuses difficultés. D’après les indications que lui-même avait successivement données pour ces placemens, ce nom se trouvait écrit de manières bien différentes : Gillet, Gillie, Gilliet. ou Gillier. L’artiste confessait alors naïvement que la faute n’en était imputable qu’à lui-même et qu’il y avait lieu, pour rétablir la véritable orthographe, de se référer à la signature de ses frères, qui avaient toujours écrit Gellée. Nous pouvons donc nous en rapporter entièrement sur ce point aux assertions de Sandrart : Claude était et devait rester jusqu’à la fin de sa vie fort ignorant : scientia valde mediocri.

Chargés de famille comme ils l’étaient, les parens de Claude ne pouvaient pas prolonger beaucoup le temps consacré à l’instruction de ce garçon qui s’y montrait si rebelle. Ils le mirent donc en apprentissage chez un pâtissier ; mais, peu après, Claude, alors âgé de douze ans, étant devenu orphelin, fut recueilli par un de ses frères aînés, Jean Gellée, qui, exerçant à Fribourg-en-Brisgau la profession de graveur sur bois, lui donna quelques notions de dessin. Pour que l’on songeât à diriger dans ce sens un garçon qui, d’après le peu d’aptitude qu’il avait montré à l’école, devait sembler très borné, il fallait évidemment qu’il eût manifesté déjà quelque signe de sa vocation. Si imprévue que celle-ci nous paraisse, elle avait sans doute été bien précoce ; elle était, en tous cas, bien impérieuse, pour provoquer les sacrifices et les efforts obstinés auxquels nous allons bientôt voir Claude se résoudre pour la suivre.

Cette vocation, d’où avait-elle pu lui venir ? Son amour de la nature, qui le lui avait inspiré et où avait-il commencé à en ressentir le charme ? Ses biographes sont muets à cet égard. Pour nous, nous en avons la conviction, c’est à ces premières années si stériles pour l’étude, c’est à ce gracieux pays de Chamagne où elles s’écoulèrent, qu’on en doit reporter le bénéfice et l’honneur, Ayant eu, à plusieurs reprises, l’occasion de parcourir cette aimable contrée, chaque fois nous avons été surpris des ressemblances formelles que nous y rencontrions, presque à chaque pas, avec quelques-uns des motifs favoris de Claude. Ces eaux qui, se partageant en plusieurs bras, apparaissent à divers plans, tantôt rapides dans leur cours, tantôt étalées en nappes dormantes, cette végétation variée qui se presse sur leurs bords, ces côtes aux contours mollement onduleux, ces horizons qui s’étendent au loin, vers la. vallée, tous ces aspects familiers de son pays natal, nous les retrouverons dans plusieurs des toiles les plus célèbres du grand artiste. En lui permettant plus tard de varier ses impositions italiennes » ces souvenirs du pays lorrain lui rappelaient sans doute les jours d’enfance où, échappé de l’école, poussant devant lui quelques bestiaux la long des prés de la Moselle,