Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

agréable à la cour de Vienne que moi ; il ne faut pour cela que jeter les yeux sur la conduite que nous avons tenue l’un et l’autre. J’ai été assez heureux pour remplir en entier les intentions du roi et les vues de Son Éminence pour le succès complet de l’élection dont j’ai été chargé, en détachant, comme j’ai fait, le plus grand nombre des membres de l’empire du parti autrichien, faisant cesser l’opposition si invétérée contre la France et faisant voir avec tranquillité par les cercles les troupes du roi au milieu de l’Allemagne. M. le maréchal de Broglie a causé la destruction de ces mêmes troupes : il a aliéné par sa conduite et par ses discours publics le prince qu’il était le plus nécessaire de ménager,.. et il vient de rendre en dernier lieu, à la cour de Vienne, le plus important service pour être resté si mal à propos, et contre mes instances, sur le haut de la Moldau, et s’être ensuite retiré avec précipitation.., ce qui a réduit l’armée du roi à l’état où elle se trouve. Il est donc très naturel qu’il soit plus agréable à ceux à qui il a procuré de tels avantages, et que ce soit lui qui négocie les moyens de sortir de l’embarras où il s’est mis. Aussi puis-je bien vous assurer, monsieur, que de tous les sacrifices que j’ai jamais faits au roi, et de tout ce que je puis avoir fait en ma vie pour son service, rien ne m’a jamais tant coûté que la démarche et l’entrevue que j’ai eues avec M. de Königseck. Mais la connaissance intime que j’ai de notre situation et mon zèle pour Sa Majesté m’ont déterminé dans cette occasion, qui n’a pas été moins méritoire que celle où j’ai plusieurs fois exposé ma vie pour son service. Je vais, de ce pas, remettre à M. de Broglie la lettre que vous lui écrivez : je lui recommanderai de nouveau l’importance ; du secret et lui ferai part plus en détail de tout ce qui s’est passé dans ma conférence avec M. de Königseck. Sans doute que l’officier que je vous ai dépêché le 3 lui rapportera les : instructions que je vous avais demandées avec des pleins pouvoirs en son nom. Après quoi, me trouvant, avec une patente de général d’armée sans commandement et avec le titre d’ambassadeur plénipotentiaire sans fonctions, je resterai spectateur de ce qui va se passer. » Et en même temps il ajouta de sa main sur l’expédition des lettres de commandement du maréchal de Broglie, qui lui était communiquée, cette note au crayon qu’on y peut lire encore : « L’ancienneté sans capacité est, de tous les titres, le plus désastreux pour la ruine des armées et des empires. Ce n’a jamais été un droit, et cette lettre confirme entre mille autres sottises du conseil du roi le proverbe : Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi[1]. »

  1. Fleury et Amelot à Belle-Isle. — Belle-Isle à Amelot, 25 juin et 17 juillet 1742. (Correspondance d’Allemagne. Ministère des affaires étrangères.) La note, évidemment écrite de la main de Belle-Isle sur l’expédition des lettres patentes, se trouve dans les correspondances diverses du ministère de la guerre de septembre 1742.