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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/478

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assumé la charge et qui en vient par degrés à être à peu près inextricable. Évidemment, l’Angleterre s’est quelque peu trompée dans ses calculs en se hâtant de profiter d’une défaillance ou d’une abdication de la France pour aller seule dans la vallée du Nil, pour s’attribuer un monopole d’influence et de direction dans les affaires fort troublées de l’Egypte. Elle a cru, surtout après sa facile victoire de Tel-el-Kébir, que tout allait se plier à ses volontés et à ses intérêts, qu’elle pourrait, en peu de temps, créer une apparence de paix et d’ordre, une situation plus ou moins régulière, plus ou moins spécieuse, qui lui laisserait une prépondérance incontestée et qu’elle présenterait à la sanction de l’Europe. Malheureusement elle n’avait pas compté avec les difficultés et avec l’imprévu. Il y a dix-huit mois déjà qu’il n’est plus question d’Arabi, le vaincu de Tel-el-Kebir, que l’Angleterre est en souveraine et maîtresse à Alexandrie et au Caire. Elle a envoyé d’abord son ambassadeur à Constantinople, lord Dufferin, pour préparer une réorganisation de l’Egypte ; elle a expédié aussi des fonctionnaires de toute sorte, elle a placé quelques-uns de ses agens dans le gouvernement. Elle a un représentant attitré, sir Evelyn Baring, qui naturellement est le tuteur impérieux du khédive et de son ministère. Depuis dix-huit mois, elle règne et gouverne. A quoi est-elle arrivée ? En définitive, elle n’a rien fait. Elle n’a remis l’ordre nulle part, ni dans l’administration, ni dans l’armée, ni dans les finances. Jamais il n’y a eu plus d’anarchie et d’abus dans la vallée du Nil. L’Egypte est livrée à une désorganisation croissante qui l’affaiblit et la ruine. C’est là, jusqu’ici, le résultat de la présence des Anglais. D’un autre côté, il s’est produit un fait avec lequel on avait encore moins compté. A la faveur de la désorganisation administrative et militaire de l’Egypte, une insurrection qui, depuis quelques années, a envahi le Soudan, et qui reconnaît pour chef ce faux prophète qu’on appelle le mahdi, cette insurrection n’a fait que se développer et grandir. Les forces envoyées pour la combattre se sont trouvées insuffisantes, et le petit corps du général Hicks a été la victime d’une effroyable catastrophe. Les détachemens égyptiens laissés dans les postes lointains et les petites colonies européennes dispersées dans ces parages, sont chaque jour exposés à périr. Le mahdi est devenu le chef d’un mouvement formidable qui s’étend sur le Haut-Nil, qui s’avance jusqu’à Khartoum. De sorte que l’Égypte, livrée à la désorganisation intérieure, se trouve de plus menacée d’un démembrement par la perte à peu près inévitable des provinces du Soudan, et un conservateur anglais, lord John Manners, avait bien quelque raison de dire dans un récent discours que la situation, telle qu’elle existait sous le contrôle anglo-français, était préférable à celle qui existe aujourd’hui.

Que faire en ces extrémités ? Le khédive Tevfik-Pacha ne se dissimule pas, à ce qu’il parait, ce qu’il y a de cruel dans la position qui