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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/528

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Malgré sa vigueur incomparable, Maximin ne put échapper, au destin de ses prédécesseurs ; il périt bientôt, assassiné avec le jeune césar son fils. Dans l’espace de quelques mois, six princes disparurent, successivement frappés par le glaive. Les Goths cependant avançaient toujours, ravageant la Dacie, inquiétant la Mœsie, marquant chacun de leurs progrès par d’incroyables massacres. Les Perses en Asie n’étaient guère moins menaçans. Un professeur de rhétorique, Misithée, donna sa fille à un empereur de dix-neuf ans, le jeune Gordien, et marcha lui-même, sous le titre de préfet du prétoire, à la tête des armées. Les Perses reculèrent devant ce général improvisé. La vigueur d’âme d’un Sourdis, d’un Richelieu ou d’un Mazarin vaut bien pour la conduite d’un empire, la force corporelle d’un Maximin. La fatalité, cependant, s’en mêlait : Misithée mourut de la dysenterie et Gordien, victime d’un attentat militaire, alla rejoindre dans la tombe Maxime et Balbin, les deux Gordiens de Carthage, Maximin lui-même et Alexandre Sévère.

Est-ce un Romain du moins qui recueillit alors la pourpre impériale ? Non ! ce fut encore un barbare : Philippe l’Arabe, né à Bostra, sur les confins de la Mésopotamie, fut appelé à l’empire, par les soldats. « Les trente-cinq tribus du peuple romain, dit Gibbon, s’étaient entièrement fondues dans la masse commune du genre humain. Le vulgaire aveugle comparait la puissance de Philippe à celle d’Adrien ou d’Auguste : la forme était la même, le principe vivifiant n’existait plus ; tout annonçait un dépérissement universel. » Ce que les régions d’Asie avaient fait, les légions d’Europe pouvaient le défaire : armée de Mœsie élut à son tour son empereur. Placé entre l’alternative de la pourpre ou de la mort, Dèce se résigna ; il choisit le pouvoir. Philippe fut tué, dès la première bataille ; Dèce, universellement reconnu par les provinces et par le sénat, n’eut plus à combattre que les Goths.

Ces Goths qui avaient vaincu et subjugué toutes les tribus placées sur leur chemin étaient des ennemis bien autrement redoutables que les premières hordes contre lesquelles avaient eu jadis à combattre Trajan et Arrien : la tactique que leur opposèrent les généraux romains ne paraît pas cependant avoir différé beaucoup de celle dont Arrien recommandait l’usage contre la tribu guerrière des Alains, tribu qui habitait alors, au nord du Caucase, les vastes steppes du gouvernement actuel d’Astrakan. « Rangez d’abord soigneusement, disait le gouverneur de la Cappadoce, vos troupes en bataille, infanterie, cavalerie, artillerie, en profitant de tous les accidens du terrain, puis attendez, ainsi préparé, l’attaque dans vos positions. Le plus grand silence doit régner dans les rangs, tant que l’ennemi n’est pas à portée de trait : à ce moment, mais à ce moment seulement, s’élèvera, d’un bout de la ligne à l’autre, une clameur