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se soit faite au-delà des tropiques et qu’ils aient gagné leur brevet d’aspirant à l’école navale.

Réservez les mathématiciens pour vos flottes cuirassées, donnez vos flottilles à conduire à des caboteurs, car ce seront des opérations de cabotage que vous leur demanderez. J’entrevois d’ici, — je l’ai déjà dit bien souvent et je veux cependant le redire encore, — j’entrevois deux marines à l’œuvre dans les guerres futures : une marine savante et une marine essentiellement pratique. La première gardera le grand chemin des mers, la seconde tirera parti de cette suprématie dont, avec vos gros bâtimens, vous êtes inhabiles à obtenir le moindre avantage. Le siècle de Louis XIV a vu ainsi marcher côte à côte la marine des escadres et la marine des brûlots. Ne vous effrayez pas des nouveautés, ces prétendues nouveautés ne sont la plupart du temps qu’un heureux retour aux sages idées de nos pères. N’encombrez donc pas d’un bagage de science inutile vos flottilles de torpilleurs, de péniches et de chaloupes canonnières ; jetez sans hésiter à la mer tout ce qui les surcharge. Ce sera là une marine de sacrifices : il n’est pas nécessaire pour y faire figure d’avoir appris le latin, l’anglais, l’histoire, la géographie, le dessin, la géométrie, la statique, l’arithmétique, l’algèbre, la trigonométrie rectiligne, la géométrie descriptive, la physique, la chimie, de savoir raconter, dans une composition de concours, commenta la jeune princesse Rosamonde, non moins capricieuse qu’agile à la course, après avoir évincé bien des prétendans malheureux, fut enfin vaincue et conquise par les ruses d’Abibas. » Un pilote qui aura le cœur bien placé, un bon quartier-maître, encore jeune et alerte, se trouvera fort à l’aise sur ces barques, où l’existence serait presque impossible pour un officier qui aurait passé sa jeunesse sur nos vaisseaux. Toute la science de l’encyclopédie moderne est à peine suffisante quand il s’agit de diriger nos léviathans ; elle ne serait qu’une gêne sur des bateaux dont l’appareil moteur doit être aussi peu compliqué que possible et qui, de plus, ne seront jamais appelés, par le service spécial auquel on les destine, à perdre la terre de vue.

L’éducation d’un parfait officier coûte cher à l’état : pourquoi donc s’imposer des frais inutiles ? La marine des enfans perdus n’a pas besoin de tant de sollicitude : elle réclame surtout des hommes de métier, durs à la fatigue, insensibles aux intempéries et indifférens au danger. J’admettrai toutefois la nécessité de sectionner cette marine, d’en former des divisions commandées par un certain nombre d’officiers de haut bord. Il ne saurait être inutile de rechercher, pour la direction supérieure, des hommes que leur éducation première et toutes les habitudes de leur vie aient imbus de longue date du grave sentiment de la responsabilité. Ma voix, je le sais, ne crie pas dans le désert ; elle a déjà rencontré plus