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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/656

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mouvement, Cousin donc, à ce qu’il nous semble, passait de Schelling à Hegel par un véritable progrès. Sans doute il ne s’en tenait pas au langage sec et aride de la Logique, il empruntait les couleurs de Platon et de Malebranche. C’est que Cousin a toujours été et restera toujours un platonicien : c’est là l’unité de sa philosophie, mais c’est Platon traduisant Hegel dans la langue de l’imagination et de l’enthousiasme. Ce qui est certain, par cette théorie de la vie intellectuelle en Dieu, Cousin modifiait déjà instinctivement le panthéisme primitif dans un sens plus ou moins théiste. Il était alors sur ce sommet où sont parvenus tous les grands philosophes, et qui est une sorte de terrain neutre où se rencontrent le théisme et le panthéisme sans qu’on puisse délimiter clairement leurs frontières. Lorsque les panthéistes, pour donner quelque vie à leur absolu, lui accordent l’essence pure de la personnalité et de la sainteté, et lorsque les théistes, d’autre part, pour échapper aux platitudes de l’anthropomorphisme, exaltent l’infinitude et l’unité absolue de l’être divin, lorsqu’ils disent, comme Platon, non-seulement que Dieu est bon, mais qu’il est le bien, avec Bossuet et avec l’Écriture, non-seulement qu’il est intelligent, mais qu’il est la vérité même : Ego sum veritas, n’y a-t-il pas là un fond commun aux deux doctrines, un acheminement réciproque de l’une vers l’autre ?

Cependant, à l’époque où nous en sommes, en 1848, Cousin était loin d’avoir renoncé au panthéisme, comme on le voit par sa théorie de la création, qui a été une des parties les plus attaquées de sa philosophie, et qui en est en même temps un des points les plus intéressans et les plus originaux. Cette théorie, il ne la tient pas de Hegel, elle lui appartient en propre. Tout au plus pourrait-on la rapprocher de la dernière philosophie de Schelling. Le point de vue original, dans cette théorie, est la comparaison établie par Cousin entre la création ex nihilo et l’acte libre. C’est qu’en effet l’acte volontaire lui-même est une sorte de création ex nihilo. Qui dit acte libre dit, comme l’a remarqué Kant, puissance de commencer le mouvement, ou de produire un mouvement qui ne dérive de rien d’antérieur, qui n’est la transformation d’aucun autre, qui, par conséquent, ne vient de rien, qui n’a pas de matière autre que la cause même qui le fait apparaître à l’existence : la liberté consiste donc précisément à produire quelque chose de nouveau non compris dans les événemens précédens. Cette assimilation de l’acte créateur et de l’acte libre était une vue profonde et vraie. — Reste à savoir cependant si la puissance créatrice peut aller jusqu’à produire un acte qui se détache d’elle-même et devienne à son tour une puissance productrice et libre ayant conscience d’elle-même ; autrement la doctrine de la création aura beau avoir son type et son