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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/658

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révolution ; MM. Thiers et Mignet avaient été accusés aussi d’une tendance de genre. Déjà auparavant une accusation semblable avait été dirigée contre M. de Barante pour la doctrine exposée par lui dans son Tableau de la littérature du XVIIIe siècle. Il est certain que la révolution française avait produit sur les imaginations une impression analogue à celle du fatum antique, tant les événemens avaient paru au-dessus des forces des hommes, et ceux-ci emportés sans savoir où comme par une espèce de trombe insurmontable. Joseph de Maistre, en appelant ce fatum la Providence ou même le démon, n’avait fait qu’exprimer une pensée semblable. Indépendamment de l’influence exercée sur l’imagination par le spectacle de la révolution et des progrès qui, depuis la révolution, avaient si vivement frappé les esprits, l’idée d’une marche de l’humanité vers un but, l’idée même d’une philosophie de l’histoire impliquait des lois, un ordre, une direction dans l’évolution sociale, qui, pour peu qu’on exagérât, devait conduire au fatalisme et, par là, à l’apologie du succès. Par exemple, la doctrine du progrès ne suppose-t-elle pas que l’idée meilleure triomphe de l’idée moins bonne ? N’entend-on pas tous les jours condamner une certaine politique en disant qu’elle est la politique du passé, qu’elle est une cause épuisée, finie, perdue ? L’école démocratique ne se faisait pas faute d’admettre cette philosophie du progrès ; elle l’appliquait à l’histoire de France, et donnait raison dans le passé même à la royauté parce qu’elle avait triomphé : on l’appliquait aussi à Napoléon. L’événement du 2 décembre a changé sur ce point la doctrine des démocrates : on commença à trouver que la raison pouvait bien n’avoir pas toujours raison. La protestation contre cet excès d’optimisme en histoire se manifesta ici même, dans cette Revue, avec beaucoup d’éclat, dans un article mémorable sur la Philosophie de l’histoire de France[1]. Plus tard, la réaction alla plus loin encore, on alla jusqu’à mettre en question la théorie du progrès. Mais un nouvel ordre d’idées vint rendre à la théorie de Cousin une importance inattendue, en lui apportant l’appui et l’autorité de la science : c’est l’apparition de la doctrine évolutionniste et transformiste. Cette doctrine repose, en effet, sur un principe fondamental, fort analogue au principe de Cousin et de Hegel, à savoir le principe de la survivance des plus aptes, c’est-à-dire des plus avantagés. Cette théorie est elle-même, sous une autre forme, l’apologie de la victoire, de même que la thèse du combat pour la vie est aussi l’apologie de la guerre, au moins dans le passé.

Pour H. Spencer, comme pour Cousin, le plus puissant

  1. 1er mars 1855. Cet article, bien connu, était d’Edgar Quinet.