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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/681

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peuvent, de même qu’un atome de brome, d’iode, ou de chlore, ou se combiner à un atome d’hydrogène, ou se substituer à lui dans une de ses combinaisons. D’après la théorie dynamique de la matière, c’est un groupe de forces dont la résultante est égale à la force unique que représente un atome d’hydrogène, de brome, de chlore ou d’iode. Dans un corps complexe, tel que la rosaniline, un ou plusieurs atomes d’hydrogène peuvent être enlevés et remplacés par autant de molécules d’un radical organique. C’est ce qu’ont entrepris MM. Girard et de Laire ; et c’est l’aniline qu’ils ont fait réagir sur la rosaniline. L’aniline est une base organique, une ammoniaque composée. Dans l’ammoniaque ordinaire, un atome d’azote est combiné à trois d’hydrogène. Dans l’aniline, un de ces atomes d’hydrogène a été remplacé par le radical phényle ; mais le phénomène contraire est possible, et si le phényle est à son tour déplacé par l’hydrogène, l’ammoniaque doit reparaître.

Telle est la réaction que MM. Girard et de Laire ont provoquée en chauffant ensemble la fuchsine et l’aniline. La rosaniline cède un atome d’hydrogène et s’empare du radical phényle. L’aniline perd le phényle, qui est remplacé par l’hydrogène ; il se dégage de l’ammoniaque, et on recueille la rosaniline phénylée. Celle-ci est d’un bleu de ciel éblouissant. On peut en varier la teinte. L’échange que nous venons de décrire peut s’effectuer successivement pour trois atomes d’hydrogène contre trois molécules de phényle, suivant la dose d’aniline employée : elle peut s’élever jusqu’à huit kilogrammes ; on aura la rosaniline monophénylée, diphénylée, ou triphénylée. La première est d’un bleu violacé, la seconde d’un bleu franc ; la troisième d’un bleu qu’on a appelé bleu lumière, parce qu’à la lumière artificielle même sa teinte ne perd rien de sa franchise et ne fait que gagner en éclat.

La découverte de MM. Girard et de Laire était du plus haut intérêt, à la fois théorique et pratique. Ils en tirèrent aussitôt de nombreuses conséquences. Leur méthode était générale et permettait dans la plupart des bases organiques de substituer des radicaux à deux ou trois atomes d’hydrogène. Ils réussirent à faire sur le chlorhydrate d’aniline ce qu’ils avaient fait sur le chlorhydrate de rosaniline, et obtinrent les anilines diphénylée et triphénylée, d’où ils surent encore tirer des matières colorantes bleues. Puis ils passèrent en revue les sels de ces bases complexes. Un sel iodé de rosalinine triméthylée leur fournit un vert magnifique, d’une telle fixité et d’un tel éclat, qu’on peut l’appeler, comme le bleu qu’ils avaient déjà préparé, vert lumière.

Ces deux chimistes, tout jeunes encore, pleins d’ardeur et de talent, avaient monté vers 1875, près de Ris-Orangis, une petite usine où ils commençaient à fabriquer les couleurs qu’ils avaient