Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/757

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qui paraîtra peut-être plus singulier, mais ce qui n’est pas moins attesté par tous les documens, c’« st que ce désir d’opérer l’évacuation de l’Allemagne et de concentrer toute la lutte, comme en un champ clos, dans les provinces flamandes et rhénanes, était commun, sauf une seule et grande exception, à tous les belligérans et même à tous les témoins intéressés de la grande partie diplomatique et militaire qui se jouait depuis deux années. Pour commencer, entre Charles VII et Louis XV, il y avait au fond une entente tacite dont aucun d’eux ne voulait convenir, mais qui tendait également des deux parts à se dégager l’un de l’autre. J’ai dit quelle mission Belle-Isle, quittant son armée, avait été chargé de remplir en passant par Francfort. Il devait inviter l’empereur à provoquer lui-même, par un rescrit impérial, le départ de ses auxiliaires, après quoi, rentrant paisiblement dans sa capitale déjà reconquise, il remettrait, soit à la diète germanique, soit à un congrès européen, le soin de terminer le litige pendant entre les maisons de Bavière et d’Autriche. Naturellement, cette proposition, qui n’était qu’un abandon à peine déguisé, fut assez mal accueillie par Charles VII, et Belle-Isle eut quelque peine à la développer tranquillement jusqu’au bout. Une scène assez vive s’ensuivit, mêlée de colère, de récriminations et de larmes et terminée par des épanchemens mutuels du prince et du général sur les fautes et les malheurs dont ils étaient tous les deux victimes.

Mais, au même moment et même avant cette entrevue orageuse, des émissaires de l’empereur avaient déjà été chargés d’aller à Berlin, à Londres et jusqu’à Vienne sonder le terrain pour savoir à quelles conditions il pourrait être admis en grâce et laissé sans contestation à la tête de tout l’empire. Il ne paraissait pas mettre à sa réconciliation avec son implacable ennemie un prix trop élevé : qu’on lui assurât seulement, avec la reconnaissance de sa dignité impériale, un revenu suffisant pour en relever l’éclat ; — que le titre royal fût attribué à son propre électorat et ainsi assuré à ses héritiers ; — que l’Autriche, en lui restituant la partie de son patrimoine bavarois qu’elle détenait encore, consentît à joindre quelques parcelles de territoire pris, soit au sud, du côté du Tyrol, soit au nord, vers la Bohême, soit à l’est, sur les rives supérieures du Rhin, il était clair que, moyennant ces légères consolations données à son orgueil, il consentirait avec joie à sortir à la fois des agitations belliqueuses et des embarras pécuniaires, et donnerait sans regret son congé à la France ; ce lot modeste contenterait une ambition mortifiée par de si cruelles disgrâces[1].

  1. Sur les négociations tentées par l’empereur à Vienne, à Berlin et à Londres pendant l’automne de 1742 et l’hiver de 1743, consulter Droysen, t. II, p. 16, 27, 29. — Robinson à Carteret, 10 octobre, 15 décembre 1742, 13 janvier 1743. (Correspondance de Vienne. Record Office.) — Hyndford à Carteret, 30 juillet, 17 décembre 1742, 4 janvier 1743. (Correspondance de Prusse. Record Office.) — Pol. Corr., t. II, p. 252, etc.