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que les lettrés tiennent leurs réunions et offrent des sacrifices aux génies, aux époques de la nouvelle et de la pleine lune. On trouve encore en Corée quelques pagodes bouddhiques où des bonzes s’efforcent de perpétuer la doctrine de Fo. Mais cette religion est en pleine décadence. On y voit aussi des monastères de bonzesses ; de même que les prêtres, elles sont tenues à garder la continence durant leur séjour dans les bonzeries, car il y a peine de mort contre celles qui auraient des enfans. Comme la loi ne les oblige pas à séjourner là toute leur vie, elles y passent quelque temps, puis elles s’en vont dès que l’ennui les domine trop, ce qui n’est pas long. Si on demande aux Coréens ce qu’ils deviennent après la mort, ils répondent comme les épicuriens de tous les temps : « Qui le sait ? personne n’en est revenu ; l’important est de jouir de la vie pendant qu’elle dure. » Les Coréens voient le diable partout ; ils croient aux jours fastes et néfastes, aux lieux propices, tout leur est un signe de bonheur ou de malheur. Le serpent est ici l’objet d’une crainte superstitieuse ; très peu de Coréens oseraient en tuer. Ils apportent de la nourriture là où ils savent que ces reptiles pullulent. Le nombre des charlatans, astrologues, jongleurs, diseurs de bonne aventure de l’un et de l’autre sexe qui vivent en Corée de la crédulité publique est inimaginable. Ceux qui ont le plus de succès dans ces métiers sont les aveugles, qui, presque tous, exercent leur profession depuis leur bas âge et transmettent leurs secrets aux enfans affligés de la même infirmité qu’eux. Dans la capitale, ils forment une corporation puissante qui paie des impôts au gouvernement. On les fait venir pour indiquer l’avenir, découvrir les choses secrètes, mais surtout pour chasser les démons qui ont pris possession de malheureux frappés d’épilepsie. Dans ce dernier cas, il convient qu’ils soient trois ou quatre aveugles ensemble. Peu à peu, ils entrent, comme les illuminés de certaines sectes arabes, dans une frénésie étrange : c’est un concert affreux de hurlemens. « Quels poumons ! s’écrie M. Daveluy, auquel nous empruntons ces détails ; je vous assure qu’il y a de quoi mettre en fuite tous les diables de l’enfer. » Chaque exorcisme dure parfois plusieurs nuits de suite. Les aveugles réussissent toujours à chasser l’esprit malin, qui est obligé, paraît-il, de se réfugier dans un pot ou dans une bouteille que l’un des exorciseurs tient toute prête à la main. Ajoutons que, pendant la cérémonie, on n’a cessé d’offrir à l’esprit malin toute sorte de mets : ces mets, il va sans dire, sont mangés par les aveugles, auxquels on donne une somme d’argent en rapport avec le nombre et la puissance des cris qu’ils ont poussés. Ne rions pas : ces choses-là se sont vues en Europe.

Le christianisme s’introduisit en Corée dans l’année 1784. Il y