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sans doute une sainte alliance ; c’est une sorte d’assurance mutuelle de préservation contre les guerres extérieures et contre les révolutions intérieures.

Que cette situation générale de l’Europe ait son intérêt pour d’autres puissances, c’est assez évident ; elle touche bien moins l’Angleterre, qui, par sa position, par les traditions de sa politique, reste en dehors de ces mouvemens, et qui, pour l’instant, a de quoi s’occuper et se préoccuper dans ses propres affaires. Il est certain que le parlement anglais, qui s’est réuni ces jours derniers, se retrouve en présence d’une situation extérieure et intérieure singulièrement compliquée. Le discours prononcé au nom de la reine à l’ouverture des chambres ne reflète pas précisément cet état de l’opinion anglaise ; il est assez placide, plein de réticences et de prétentions. Les questions, qu’il effleure à peine, n’existent pas moins, et le cabinet britannique va évidemment avoir de rudes combats à soutenir pour défendre une politique qui n’a pas été heureuse.

L’Irlande reste toujours sans doute un embarras pour le ministère ; mais avant l’Irlande, ce qui préoccupe les Anglais, c’est l’Égypte, où les incidens pénibles se succèdent, où tout se complique de jour en jour sans qu’on voie encore distinctement ce que le ministère se propose de faire pour sauvegarder la dignité et les intérêts britanniques. Il y a quelque temps, avant la fin de l’année dernière, c’était un général anglais, Hicks-Pacha, qui, en essayant de dégager quelques garnisons menacées par l’armée du mahdi, essuyait un effroyable désastre, et qui n’a plus reparu. Il n’y a que quelques jours, c’était un autre général anglais, Baker-Pacha, qui éprouvait une nouvelle déroute sanglante où il n’a point, il est vrai, disparu lui-même. Ces faits qui se sont passés dans les régions du Haut-Nil étaient certainement assez graves pour émouvoir l’Angleterre, et le gouvernement de la reine a commencé par laisser en Égypte l’armée anglaise d’occupation qu’il avait eu la pensée de rappeler en partie il y a quelques mois. Depuis, il y a quelques jours à peine, il a envoyé un ancien gouverneur du Soudan, Gordon-Pacha, qui devait se rendre à Khartoum, qui en approche, en effet, à travers mille périls, avec la mission de reconnaître la position, de décider au besoin l’abandon de ces contrées du Haut-Nil. L’abandon du Soudan reste évidemment la pensée du gouvernement anglais ; mais c’est là justement la difficulté de se retirer sous la pression d’une insurrection victorieuse de nègres en laissant partout des garnisons massacrées, d’abandonner certains points qui ne sont pas sans importance pour la sécurité de l’Égypte elle-même, de se réduire à une défense laborieuse de quelques stations des bords de la Mer-Rouge. Reconquérir le Soudan serait certes une œuvre périlleuse et coûteuse ; l’abandonner, n’est pas plus facile, et, dans tous les cas, il est un fait trop évident : si on en est là, si le Soudan est en insurrection et à peu près perdu, si