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des servantes, lorsque la dînette nous a été servie. Et, au moment où s’est arrêtée sa musique monotone, je songeais à certain vieux jardin qui est situé au-dessous de nous, de l’autre côté de la terre, et qui, dans mon enfance, représentait pour moi le monde. A l’instant précis où la sauterelle de rêve a cessé de chanter, c’est ce jardin-là que je revoyais, après avoir repassé tant de choses en souvenir, ce jardin avec ses treilles, ses vieux arbres, et surtout un grenadier planté jadis par un aïeul, qui, à chaque mois de juin depuis cent ans, sème en pluie ses pétales rouges sur le sable d’une allée. Ce ne sera donc pas le printemps prochain que je reverrai cette jonchée de fleurs rouges, ni même le printemps d’après ; ce ne sera peut-être jamais plus…

La geisha, d’une main distraite, entr’ouvre l’un des châssis de bois et de papier par où nous vient la pâle lumière : « Tiens, dit-elle, la neige ! » Et vite elle referme le panneau transparent, qui a laissé pénétrer un souffle de glace dans la salle déjà si froide. La neige, j’ai eu le temps de l’apercevoir pendant cette seconde où le panneau s’est entr’ouvert : des flocons blancs qui tourbillonnent avec lenteur, dans un ciel mort, au-dessus d’un toit japonais aux petites tuiles rondes, d’un gris noirâtre.

Alors, non, ce n’est plus tenable, ici !…

Heureusement, voici la diversion nécessaire : des pas d’enfant dans l’escalier, des froufrous de soie ; mon petit chat qui arrive !

Elle apparaît, cette petite Mlle Pluie-d’Avril, stupéfiante à son ordinaire, dans ses falbalas, mièvre et comme sans consistance, ainsi empaquetée dans ses étoffes à grands ramages. Elle est en dame d’autrefois et porte un immense éventail de cour. Elle salue, fait quelques pas, salue de nouveau, s’avance encore, et, tandis qu’elle se prosterne cette fois pour une solennelle révérence à la mode ancienne, une imperceptible expression de gaminerie plisse le coin de ses yeux retroussés, sa bouche s’entr’ouvre pour laisser passer le miaou d’un chat, — si bien imité, si imprévu que j’éclate de rire…

— Oh ! — fait MIle Matsuko, pointue, — voilà trois jours qu’elle préparait ça, pour distraire ta Seigneurie. Avec son gros matou de M. Swong, elle prenait des répétitions…

Laisse dire, va, petite fée. C’était ce qu’il fallait ; tu as réussi à amuser celui qui te paie pour ça, et il te remercie.

Maintenant, là-bas derrière toi, tourne, fais jaillir la lumière