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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/115

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Mme Renoncule cependant, en mère prudente, avait préféré cette fois ne pas amener ses filles ; mais nous avions Mme Prune, entourée d’un essaim de jeunes geishas. Une douce gaieté, du meilleur aloi, n’a cessé de régner pendant toute la visite de ces dames. Elles avaient fait des toilettes extrêmement galantes, et en particulier le chignon de Mme Prune, amplifié à souhait par d’habiles posticheurs, restera dans toutes les mémoires.


2 février. — Donc, nous restons ici jusqu’au printemps, c’est-à-dire environ deux mois encore, car il faudra sans doute le soleil d’avril pour fondre ces glaces, là-bas, qui nous ferment la sinistre entrée du Peï-ho.

Et il ne s’annonce guère, le printemps de cette année, même dans la baie si close, si défendue contre les vents du Nord, où notre navire s’abrite.

Au contraire nous sommes plus que jamais en pleine saison de bourrasques et de neiges. Or, tout ce Japon, amusant par le soleil, devient pitoyable, dès qu’il est boueux, ruisselant et transi. Du reste, on meurt comme mouche, à Nagasaki dans ce moment ; entre deux grains, dès que le soleil d’hiver se montre, les gracieux cortèges de messieurs les morts et de mesdames les mortes se hâtent vers la nécropole de la montagne ; on en trouve parfois deux, trois ensemble, qui s’abordent nez à nez à un carrefour, échangent de suprêmes politesses, font à qui ne passera pas devant l’autre, entravent la circulation et arrêtent par douzaines les pousse-pousse crottés. En tête, marchent toujours quelques bonzes en bonnet archaïque, robe sombre et surplis d’ancien brocart d’or. Ensuite, le héros du défilé, le mort lui-même, réduit à sa plus simple expression, porté à l’épaule dans la toujours pareille petite châsse de fine menuiserie blanche. A l’épaule également, plusieurs vases en bois, d’où s’échappent, pour dominer la foule, de fantastiques plantes artificielles : lotus gigantesques à pétales d’argent, érables du Japon à feuilles rouges, cerisiers ou pêchers tout en fleurs. Puis, la théorie des dames ou mousmés, vêtues de deuil, en blanc de la tête aux pieds. Et enfin la partie hautement comique du convoi, les hommes en costumes mi-partie, robes de soie et chapeaux melons ; quelques redingotes ; beaucoup de lunettes, et surtout de lunettes bleues, toujours instables sur ces visages trop plats. Quand survient une averse, les parapluies s’ouvrent, d’affreux