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rez-de-chaussée. La pièce du fond est le laboratoire où Miss C. fait toute sa « cuisine » elle-même, ni plus ni moins que Bernard Palissy. Devant moi elle broie ses émaux et en décore les objets d’argent ou de cuivre qu’elle a préalablement forgés, martelés d’après ses propres dessins. Deux fours minuscules occupent les angles de l’atelier ; très peu d’outils avec cela, et voici les résultats : délicates pièces d’argenterie pour cadeaux de baptême, gobelets encerclés de rondes d’enfans à la Greenaway, garnitures de toilette, portraits en relief d’après nature. Les commandes viennent suffisamment nombreuses, paraît-il, la jeune artiste est satisfaite de son sort ; elle a quatre élèves qui l’aident dans sa besogne en se contentant d’un faible salaire, parce qu’elles attrapent en même temps les secrets du métier et envoient leurs travaux personnels avec ceux de la « patronne » aux nombreuses expositions organisées par les clubs et autres sociétés protectrices des femmes artistes, sans parler de l’exposition annuelle des Beaux-Arts.

— Mais, me dit leur maîtresse, elles sont surtout commerçantes, tandis que moi, je travaille avec amour, à mes heures, faisant ce qui me plaît sans trop me soucier de l’approbation des marchands, puisque je n’ai pas absolument besoin de gagner ma vie. J’ai étudié à l’étranger, à Paris surtout ; je vais quelquefois l’été dans la montagne m’emplir les yeux de belles formes et de belles couleurs ; je ne dépends que de moi-même.

Le commerce pur et simple est, chose singulière, adopté par les classes supérieures. Il ne faut pas oublier que les Anglais sont un peuple marchand et qu’ils prétendent descendre d’une tribu perdue d’Israël. Des femmes appartenant à la meilleure société ont très ostensiblement à Londres une maison de modes, de lingerie ou de couture. Depuis que lady Warwick a mis son nom en toutes lettres pendant quelque temps sur la porte d’un magasin de Bond Street, pour mieux lancer les affaires de jeunes filles qu’elle patronne, il est devenu « bon genre » d’ouvrir boutique. On sait que la philanthropie de lady Warwick s’exerce surtout envers les demoiselles bien nées et bien élevées, en quête d’une profession. C’est ce qui a déterminé la fondation du fameux « Lady Warwick’s Hostel » où sont enseignés l’horticulture, l’élevage des volailles et des abeilles, la direction d’une laiterie, enfin tout ce qui peut faire de bonnes jardinières et de bonnes fermières ; elle a voulu de même former des marchandes,