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sans enthousiasme, sans flamme et sans amour. Il a joué comme si c’était un aimable andante de Haydn le thème dont nous disions tout à l’heure que, pour le pathétique et la beauté profonde, il ressemble aux derniers thèmes de Beethoven.

Tristan, c’est M. Alvarez. La voix du célèbre ténor a paru moins juste, moins ferme et plus creuse qu’autrefois. Son style est demeuré le même. Il est vrai que la grandeur et la douceur aussi, la navrante douceur du dernier acte, ne lui a pas tout à fait échappé. Très supérieure à l’Iseult qu’on pouvait craindre, Mlle Grandjean n’est pas moins inégale à celle qu’on peut rêver, mais que sans doute elle ne rêve point. Mlle Grandjean ne manque rien. Il lui manque quelque chose. Nous ne dirons pas « un je ne sais quoi, » car nous le savons, et nous ne sentons pas la difficulté, mais l’inutilité de le dire. Disons du moins, ce ne sera que justice, de quels mérites sérieux Iseult est pourvue : la conscience, le soin, le zèle, la correction, la probité de la voix et du chant. Voilà des qualités, presque des vertus, et si peut-être elles ne forcent pas l’admiration et l’enthousiasme, elles sont dignes au moins d’une haute estime et de la considération la plus distinguée.

Quant à la jeune personne qu’on a choisie pour la charger — si lourdement ! — du rôle de Brangaene, le choix ne pouvait être plus malheureux. Il faut à cette confidente, à cette consolatrice, une voix assez large, assez tendre aussi pour envelopper la voix et l’âme d’Iseult et pour les apaiser toutes deux. Cette voix au contraire, moins secourable qu’ennemie, ne saurait qu’achever de les irriter l’une et l’autre et de les aigrir. Ainsi l’équilibre vocal et dramatique s’est trouvé rompu. Cette voix enfin, au second acte, a gâté la phrase délicieusement vigilante de la triste gardienne d’amour. Elle a piqué, poussé les sons, au lieu de les porter et de les soutenir. Et les notes perçantes ont déchiré la trame de la symphonie, sur laquelle elles devaient, caressantes, s’étendre et se reposer.

M. Delmas une fois de plus est excellent. Il prête à Kurwenal une cordialité puissante. Il dit aussi juste, aussi large qu’il chante. Après et même avant lui, nous ne savons à l’Opéra qu’un autre artiste qui prononce tout à fait bien : c’est le souffleur. Du fond de la salle, où nous étions placé, nous l’avons admirablement entendu.

Camille Bellaigue.