Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/369

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moindres portefaix ont des dents dorées par leurs soins. Ils travaillent du reste sans mystère, car je me souviens d’avoir vu, par des fenêtres ouvertes, des dames au chignon d’un beau galbe, la tête renversée sur un coussinet et tenant béantes leurs mâchoires, qu’un opérateur semblait perforer avec d’étonnans petits vilebrequins. Ils ont, paraît-il, appris cet art en Amérique. Quantité de matelots de chez nous, séduits par leurs enseignes à images, se sont confiés à eux et les déclarent d’une dextérité merveilleuse.

En ce qui est affaire d’adresse, de patience et d’exactitude, ces petits Japonais ne pouvaient qu’exceller. C’est pourquoi ils se sont approprié si vite l’art de nos électriciens et de nos constructeurs de machines ; on s’étonne seulement qu’ils n’aient pas inventé eux-mêmes, des millénaires avant nous, tout cela, avec quoi ils jonglent aujourd’hui comme des virtuoses.

Et nos plus modernes engins de guerre, qui ne sont en somme que bibelots de précision, vont devenir, hélas ! entre leurs mains prestes et sûres, de bien effroyables jouets…

Mon Dieu, sauf Mme Prune, que tout était joli ce jour-là autour de moi, aussi bien en bas, au bord de la rade profonde, qu’en haut vers le ciel paiement bleu où montaient les étranges cimes vertes ! Et qu’elle est adorable, cette île de Kiu-Siu, de finir ainsi, là-bas au loin, par des falaises magiquement garnies d’arbres, des falaises qui portent des petits temples à demi cachés sous leur verdure, et qui descendent, comme les remparts de quelque forteresse enchantée, dans le grand néant de la mer, aujourd’hui si lumineux et diaphane !…


25 mars. — Amusantes et douces, à cette fin de mars, s’en vont nos journées, nos dernières journées dans ce Japon, qu’il faudra quitter bientôt, quitter demain peut-être, après-demain, qui sait ? au reçu de quelque ordre brusque et sans merci.

Et je regretterai des recoins d’ombre et de mousse, parmi de vieux granits et de fraîches cascades, sur des versans de montagne, au-dessus de mystérieux temples…

La vérandah ombreuse et calme de la maison de thé que tient Mme O. -Tsuru-San devant le temple du Renard, les antiques terrasses de la ville des morts, aux pierres grises, sous les cèdres de cent ans, je ne retrouverai jamais ces heures de