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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/379

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comme aux aguets, sous sa vérandah qui était enguirlandée des mêmes roses qu’en hiver, toujours ces roses pâlies à l’ombre des arbres, mais plus largement épanouies en cette saison, plus nombreuses, et s’effeuillant sur le sentier, comme des fleurs qui seraient en train de mourir pour s’être trop prodiguées.

Toutefois cette dame n’avait manifesté qu’avec froideur, en me voyant approcher, et s’était contentée de m’indiquer une humble place dans un coin.

Ses yeux restaient fixés, là-bas en face de nous, sur le temple ouvert où trois dames de qualité, accompagnées d’un petit garçon de quatre ans au plus, venaient de tomber en oraison, après avoir sonné le grelot de bois de mandragore suspendu à la voûte, sonné, sonné à toute volée, comme pour une communication urgente au Dieu de céans. C’étaient visiblement des personnes très cossues, appartenant à un monde où mes relations ne m’ont pas permis de me faire présenter. Face à l’autel, agenouillées et à quatre pattes, elles s’offraient à nous vues de dos, ou plutôt de bas de dos, et leurs prosternemens le nez contre le plancher nous révélaient chaque fois des dessous d’une élégance on ne peut plus comme il faut. Leur enfant, juponné en poupée, semblait prier comme elles avec une conviction touchante ; mais, chez lui au contraire, les dessous avaient été supprimés, à cause de la température sans doute, et, à chacun de ses plongeons, sa robe de soie se relevait pour nous montrer, avec une innocente candeur, son petit derrière.

Que pouvaient-elles bien avoir à solliciter du Dieu étrange, symbolisé sur l’autel par ces deux ou trois objets aux formes d’une simplicité si mystérieuse ? Quelles conceptions particulières de la divinité tourmentaient leurs petits cerveaux, sous leurs coques de cheveux bien lustrées ? Quelles angoisses de l’au-delà et de la grande énigme les retenaient tant de minutes à genoux devant ce Dieu si inattentif, si fuyant et mauvais, qu’il fallait constamment rappeler à l’ordre en claquant des mains ou en ressonnant la cloche de mandragore ?…

Elles se relevèrent enfin, leurs dévotions finies, et ce fut un instant d’anxiété pour Mme O-Tsuru-San, qui, de plus en plus inquiète, s’avança jusque dans le chemin. Viendraient-elles se restaurer dans l’humble maison de thé, les si belles dames, ou bien redescendraient-elles simplement vers Nagasaki, par le sentier de mousses et de fougères ?…