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banquet, ripostait aussitôt en buvant « à Gainsborough, comme au plus grand portraitiste de l’Angleterre. » Longtemps brouillés, les deux émules vivaient séparés l’un de l’autre ; mais à son lit de mort, Gainsborough avait voulu revoir Reynolds pour se réconcilier avec lui, et presque à l’agonie, il prenait congé de son confrère en lui disant : « Nous irons tous au ciel et van Dyck sera de la partie. » Si une appréciation plus équitable du talent de Gainsborough n’assigne aujourd’hui qu’une place secondaire à ses paysages, tandis que la haute réputation qu’il a conquise dans l’école anglaise demeure amplement justifiée par des portraits tels que ceux de Mistress Siddons à la National Gallery, le Blue Boy du duc de Westminster, et bien d’autres encore, historiquement, son influence sur le développement du paysage en Angleterre a cependant été considérable.

A la suite de Gainsborough, presque un demi-siècle après lui, deux peintres nés en 1709, Thomas Barker et surtout Old Crome méritent d’être cités pour la sincérité et la justesse de leur observation de la nature. Du premier, outre un Chasseur pendant l’Orage qui eut en son temps un grand succès, la National Gallery possède une Vue de Dunes, prise probablement dans le Sommerset et dont le motif très simple n’est pas sans grandeur. Si l’aspect ne laisse pas d’en être un peu noirâtre et la touche assez brutale, le ciel, d’un beau mouvement, est, au contraire, délicatement modelé, et des faneuses qui se reposent au premier plan, tandis que plus loin des paysans fauchent un pré, font bien ressortir l’étendue d’un vaste horizon, sur lequel les rayons du soleil tamisés à travers les nuages accrochent çà et là quelques lumières. Avec un talent supérieur, c’est par une semblable recherche de la vérité que se distingue Old Crome. A côté de tableaux inspirés par le souvenir de Cuyp, en œuvres de qui les collections anglaises abondent, Crome montre dans la plupart de ses peintures une souplesse et une originalité remarquables. Ses Ardoisières, de la National Gallery, frappent le spectateur par la gravité voulue des colorations aussi bien que par la franchise de la facture. Ce ciel vide et morne, ces terrains rocailleux aux cassures violentes, aux tonalités grisâtres, ces côtes âpres et nues qui se dressent de part et d’autre, et sur les pentes desquelles des flocons de brume promènent leurs traînées éparses, tout dans cette robuste peinture concourt à l’impression de sauvagerie qui se dégage de cette rude et triste contrée. Avec