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Les Campineano, les Kretzulesco, les Golesco, les Bratiano, — on les compte ! — ne sont rien : des matelots naufragés, accrochés à une épave, au milieu de cuirassés formidables. Ils n’ont rien, ni millions, ni soldats, ni partisans, rien qu’une idée merveilleuse et très simple comme toutes les idées merveilleuses. « Du moment que notre peuple n’est pas mort, disent-ils, c’est qu’il doit vivre. » Mais sont-ils sûrs que leur peuple vive encore ? Ils vont de l’avant sans retourner la tête. Leurs cerveaux renferment plus d’utopies qu’il n’en faudrait pour ruiner un pays prospère. Ils ne voient la vie qu’à travers les lunettes de nos théoriciens révolutionnaires. Nous n’avons pas plutôt renversé Louis-Philippe qu’ils s’emparent de Bucarest, et, membres d’un gouvernement provisoire, redoublent d’insultes contre le tsar. Le manuscrit du règlement organique, placé sur un char funèbre, est traîné devant le consulat russe, où il est brûlé, au milieu d’une mascarade d’hommes travestis en prêtres et de musiciens vêtus de noir qui jouent des airs de danse. Folie, absurdité ! Est-ce avec des échauffourées et des arlequinades qu’on régénère une nation agonisante ? Mais vous ne connaissez l’Europe ni le monde. Ces fous les connaissent. Les larmes dévorées en silence, les meurtrissures tacitement subies ont-elles jamais soulevé la pitié des nations étrangères ? Il s’agit de frapper l’imagination. La bulle du Pape brûlée par Luther active l’incendie de l’Allemagne. On fera payer cher à ces carbonari leur burlesque et bruyante audace. Ils entendront de nouveau les canons russes rouler sur la pauvre terre roumaine. Mais dispersés à travers l’Europe, par le livre, le journal, la brochure, la parole, ils donnent un corps et une âme à ce vague fantôme : la Roumanie. Michelet s’émeut, et, quand Michelet s’émeut, des milliers de cœurs frémissent. Napoléon III les écoute et lève sur leur beau songe sa lourde paupière. Ne croyez pas à leur folie. Ces révolutionnaires, qui flattent le lion de 48 et qui caressent l’aigle impériale, ne sont pas même des républicains. Ils veulent la Roumanie libre, mais à sa tête un prince étranger. Quinet les gourmande. Qu’a-t-on besoin d’un prince, quand on possède la Déclaration des Droits de l’homme ? Un prince ? Quelle défaillance ! Mais Bratiano y tient, à son prince. Il a l’usage de ses boyars, et sait que les Républiques font les Pologne. Ne croyez pas à leur folie ou dites alors que la moitié de l’Europe a été folle avec eux ! Chaque grand coup dont la France, l’Angleterre,