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situation cossue et qui en jouit sans vergogne, ne veut pas pour son fils d’une union qui ferait déchoir la famille. Un garçon, gentil de sa personne, qui a du talent, de l’aisance, et un beau nom, épouser une fille de rien ! Quelle folie, au prix où sont aujourd’hui les maris ! Pour empêcher cette folie, l’idée lui vient d’utiliser ce qui tout à l’heure la désolait si fort : la sympathie romanesque de Marèze pour Juliette. Elle est assez fine pour ne pas douter que Marèze ne repousse l’idée d’un mariage de son fils avec Juliette. Seulement, ce qu’elle n’avait pas prévu, c’est la violence qu’il y mettrait et qui va faire éclater la force encore insoupçonnée d’un sentiment qui gronde en passion.

C’est ici le point culminant du drame. Le père et le fils sont en présence, cependant que la mère assiste à leur étrange entretien. Ou plutôt, Mme Marèze et Jacques écoutent avec une stupeur, qu’ils s’efforcent de faire respectueuse les déclamations de ce vieil homme qui ne craint pas de se poser en rival de son fils, et de reprocher à celui-ci qu’il lui vole un amour auquel il avait droit. La scène est d’une grande hardiesse et si poignante qu’on ne songe pas à remarquer ce qu’elle a au fond de pénible.

Il reste à dénouer une situation si tendue ; et on sait que la grande difficulté au théâtre est toujours de conclure. M. Jules Lemaître avait excellemment montré comment un père peut devenir le rival de son fils ; il lui fallait trouver un moyen pour que cette rivalité prit fin. Il a cherché trop loin. Il a procédé de façon compliquée et détournée. Il suppose que Mme Marèze fait venir Juliette Dupuy, l’interroge et apprend de sa bouche toute sorte de choses qui l’étonnent et l’édifient : c’est à savoir que Juliette est vraiment une honnête fille, qu’elle n’a pas plus cherché à gagner l’amour du fils qu’à surprendre la confiance du père, et qu’elle est prête à quitter Paris, à s’éloigner d’une famille dont elle a si involontairement troublé le calme et dramatisé la paisible atmosphère. Et peu à peu Mme Marèze se range à l’idée de faire de Juliette sa belle-fille : c’est elle qui va y amener Marèze et le convertir sous nos yeux. Cette conversion ainsi présentée nous paraît peu vraisemblable. Et elle nous laisse pour l’avenir des inquiétudes. Puisqu’on nous donne Marèze pour un honnête homme, n’eût-il pas été plus conforme à son caractère qu’il trouvât en lui-même le ressort de sa conversion ? L’incident qui lui a révélé la profondeur de son mal, pouvait lui fournir en même temps le moyen de le déraciner. Tant qu’il avait été seulement en butte à la jalousie et aux reproches de sa femme, Marèze pouvait se faire illusion. Il s’appliquait le bénéfice de cette morale indulgente qui